Regarde-moi

II. Invisibilité

Les larmes coulaient le long de son visage. Elle avançait, lentement, un pied devant l'autre. Elle prenait son temps.

Elle savait. Oui, elle savait qu'elle n'avait aucune chance. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir si mal.

Lucy souffrait. Elle aurait voulu avoir le courage de dire à Grey à quel point elle l'aimait. À quel point elle voulait qu'il la regarde.

Mais elle avait peur de se faire rejeter.

Et comme beaucoup de gens, car elle n'était pas la seule, elle continuait à avancer, tête baissée, sans rien faire.

Elle était une bonne à rien.

Le bruit de ses pas lourds tapant contre le béton rythmait sa marche lente et douloureuse. Les larmes continuaient d'affluer, comme une malédiction, comme un moustique qui ne veut pas vous laisser tranquille.

Lucy était triste.

Ce n'était sûrement qu'une amourette d'adolescente.

Alors pourquoi ça faisait si mal ?

Lucy sortit son téléphone et contempla pour la énième fois ce nom.

Elle l'aimait tant. Pas juste de par son physique de dieu. Elle aimait ses yeux froids et glacial, elle aimait sa nonchalance, elle aimait sa détermination, et aussi le fait qu'il veuille toujours avoir le dernier mot.

Du plus profond de son être, elle l'aimait.

Elle l'aimait à en être malade, à ne plus penser qu'a lui, à devenir un zombie.

Mais lui en aimait une autre.

Lucy poussa un long soupir et essuya d'un geste de main rageur les larmes sur son visage. Il ne fallait pas qu'elle se laisse abattre.

Avec tout le courage dont elle était capable de faire preuve, elle appuya sur ce fameux bouton, le bouton « Appeler », et les vibrations retentirent.

- « Allo ? »

Lucy frissonna de tout son être. Même à travers un téléphone, alors qu'ils ne se voyaient même pas, il avait un effet sur elle.

Elle aimait tout du lui. Même sa voix.

- « O-Oui, Grey, c'est Lucy. »

- « Ouais, je sais. T'as quoi ? »

- « E-En fait, tu sais, j'ai un concours de danse dans une semaine et je voulais t'inviter à venir... me voir. »

Le cœur de Lucy rata un battement.

- « Ouais, bien sûr ! »

Il s'accéléra subitement.

- « C-Cool ! »

Il allait encore plus vite.

- « Juvia pourra venir ? »

Il tomba. Profond. Très profond.

- « Bien sûr. »

Et elle raccrocha.

Une fois encore, elle n'avait eu aucun courage.

Ne pas penser à lui.

Ne surtout pas penser à lui.

La musique tournait en boucle dans la pièce depuis de longues heures désormais, et Lucy ne s'était toujours pas reposée. Elle continuait de danser, de danser sans jamais s'arrêter.

Elle devait s'entraîner, si elle voulait avoir une chance. Elle devait travailler sur sa chorégraphie, la personnaliser, la rendre plus vivante.

Mais aussi, elle devait penser à autre chose. Dès qu'elle s'arrêtait de danser, elle voyait Grey.

Et elle n'en pouvait plus.

Alors, elle continuait.

Encore.

Encore.

Et encore.

Les heures passaient, elle ne s'arrêtait toujours pas. Ses pieds, elle ne les sentait presque plus, et son odeur par contre, était perceptible à des kilomètres à la ronde.

Essoufflée et épuisée, elle s'arrêta enfin, ne pouvant penser à autre chose qu'à la douche qui l'attendait. Elle prit sa bouteille, la vida d'une traite et enfila son pull. Puis, elle alla dans une des pièces voisines à sa salle d'entraînement pour aller chercher la personne qui la raccompagnerait.

- « Salut. »

Yukino lui offrit un grand sourire et rangea ses affaires dans son sac, puis les deux amies sortirent ensemble du bâtiment et se dirigèrent vers la voiture de la blanche.

- « T'as dansé longtemps ! » s'exclama celle-ci. « Tu n'as pas trop mal aux pieds ? »

- « Si, c'est horrible. J'ai l'impression qu'ils vont tomber. »

- « Je sais que c'est bientôt le concours mais tu devrais te reposer un peu non ? »

Lucy sourit amèrement. Elle savait que Yukino était une fille honnête qui ne voulait que son bien, mais danser était justement le seul moyen pour Lucy de dormir sans prendre de substances illicites.

Si elle ne s'épuisait pas, elle n'arrêtait pas de penser à lui.

- « Tu participes au concours d'ailleurs ? »

- « Moi ? Non, je vais attendre l'année prochaine, pour me perfectionner. »

- « Tu prends des cours ? » s'étonna Lucy. « Je ne te vois jamais avec un professeur. »

- « Cours à domicile. Et toi ? »

- « Moi... Tu sais très bien. J'ai juste les moyens de louer la salle. »

Lucy offrit à Yukino un sourire contrit et les deux pénétrèrent dans la voiture, accompagnée d'un silence gênant et encombrant.

Il faisait nuit, Lucy était fatiguée. Son réveil sonnait inlassablement, sonnant l'heure d'aller aux enfers. La blonde se leva et bailla, puis se prépara pour aller en cours, suivant encore et encore la même routine exténuante.

Les réverbères allumés éclairaient la rue encore noire, les voitures faisaient siffler l'air et les quelques passants debout à cette heure là marchaient rapidement et en silence.

Tête baissée, Lucy continuait d'avancer. La pluie tombait désormais, la faisant frissonner. L'air était humide et le vent soufflait un peu trop fort. Le bruit de ses pas sur le béton résonnait dans sa tête, elle était absente.

Comme dans un état second, elle marchait sans vraiment s'en rendre compte, comme un robot destiné à toujours réaliser la même routine.

Elle aurait voulu changer de chemin, changer au moins une fois d'habitude, vivre une autre aventure. Mais elle ne pouvait s'y résoudre. Il était tellement dur de quitter le maigre confort qu'elle s'était construit, sans aucune garantie de pouvoir le retrouver en cas de chute.

A présent assise dans un bus presque vide, Lucy regardait le paysage si ordinaire depuis sa fenêtre.

Les déchets sur le trottoir, les voitures roulant à une vitesse folle, les parapluies déployés dans le ciel, le vent un peu trop violent pour un mois d'avril auraient pu rendre nostalgique et triste quiconque les voyaient.

Mais Lucy, elle, sourit. Même si elle n'était pas spécialement heureuse, même si elle n'avait pas vraiment de quoi se réjouir dans sa vie, elle aimait son existence.

Ces maigres détails constituaient sa réalité, son identité. Et, pour rien au monde, elle ne voudrait échanger sa place.

Elle était Lucy Heartfilia. Une fugueuse, une incapable, une danseuse, une rejetée.

Elle était elle-même.

Simplement quelqu'un.