37. mon père

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J'ai tellement rongé mes ongles pendant le trajet en métro que j'ai fini par m'ouvrir la peau sans faire exprès, et j'entoure un bout de mouchoir en papier autour de mon doigt pour éviter de tâcher la chemise que j'ai repassée spécialement pour l'occasion. Je n'arrive pas à croire d'être tombé aussi bas. Lorsque je me suis regardé dans le miroir, avant de sortir de mon petit appartement de résidence universitaire, je me suis donné envie de vomir tellement je ne me reconnaissais pas. Je n'ai pas réussi à garder assez confiance en moi et j'ai laissé mes vieilles habitudes et craintes me dicter. Mes cheveux sont parfaitement coiffés en arrière, tenant grâce à une tonne de gel, ma chemise est impeccable, d'un bleu pastel, repassée jusqu'au moindre pli rebelle, mon pantalon en toile, d'un bleu plus foncé, a été ressorti du fin fond de mon armoire, là où je garde le peu de choses que j'ai emmenées avec moi en fuyant le domicile familial.

Même ma posture est différente, je me force à me tenir droit, les yeux grands ouverts, la mâchoire tendue. La seule chose qui ne change pas de d'habitude, c'est le fait que je me ronge les ongles. Tout ce qui a fait que j'ai été moi pendant presque six mois, tout s'est envolé. Je suis redevenu ce fils de bonne famille, friqué, plein aux as, débordant d'une arrogance qu'il n'a jamais possédée.

Je sens le filet de sueur couler le long de mon dos, tâchant le tissu fin de ma chemise. Mes pieds tapent frénétiquement le sol de la rame de métro tandis que je fais de mon mieux pour garder mon sang-froid. Je regarde les arrêts défiler au travers de la vitre, et je cherche en moi le courage de continuer. Il m'en a fallu déjà pour sortir de chez moi tout à l'heure, j'ai peur de me dégonfler au dernier moment. Avoir accepté de revoir mon père aujourd'hui n'est pas une excuse assez grosse pour ne pas avoir envie de fuir à chaque seconde qui s'écoule.

J'ai peur. Peur de l'affronter, peur de redevenir ce garçon que j'ai tant détesté, peur de ce qu'il pourrait me dire, peur qu'il amène ma mère au rendez-vous.

Je repense à tout ce que je leur reproche. C'est parfois difficile de savoir exactement. Je ne me souviens pas de repas en famille, de berceuse avant de m'endormir, de câlins, de compliments. Mais je ne manquais de rien, je fréquentais les meilleures écoles de Paris, j'allais à des événements qui en feraient rêver plus d'un, j'avais presque tout ce que je voulais, consoles de jeu, vêtements. Mais j'étouffais, et je ne pouvais pas être moi. Tout ce que je voulais, c'était de ne plus ressentir cette pression constante, de ne plus étouffer à chaque repas officiel, ne plus devoir faire semblant, pouvoir faire ce que je veux de ma vie. Et maintenant que j'y repense, ce que je voulais aussi, c'était me sentir soutenu par mes propres parents, ne pas avoir l'impression d'être un étranger à leurs yeux, un montant sur un chèque. J'avais cette impression constante de les décevoir, mais je me rends compte, qu'en réalité, c'est eux qui m'ont déçu.

C'est cette pensée qui me maintient debout à l'heure actuelle et qui me donne assez de courage pour l'affronter. Il ne tient qu'à un fil, ce courage, mais il est là quand même. Et je sais qu'il est là parce que depuis six mois, j'ai évolué. J'ai compris que mon anxiété était des chaînes qui m'attachaient les poignets dans le dos, et je ne peux pas les briser à tous les coups, mais je peux essayer, et quand j'y arrive, la joie que j'en ressens ne me rend que plus fort encore.

Je descends à l'arrêt de métro qui précède celui où je suis supposé descendre en me disant qu'un peu d'air frais avant me fera le plus grand bien. Il commence à faire vraiment froid, et je fourre mes mains dans mon long manteau noir. J'observe la fumée blanche qui sort de ma bouche à chaque expiration et je laisse mes pas me guider jusqu'au restaurant où j'ai rendez-vous. Mon père a eu la décence de ne pas choisir l'un de ceux qu'il a l'habitude de fréquenter avec ma mère, mais le nombre d'étoiles devant la portée d'entrée a le don de me faire tourner la tête.

Pour que tu m'aimes encoreWhere stories live. Discover now