Novembre : Nouvelle vie

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  Lorsque l'on est effrayé, paniqué, on s'entend souvent dire : « Respire à fond, tout va bien se passer, tu n'as pas de raison de t'inquiéter ». Cette phrase semble être un mantra pour une majeure partie des personnes, qui les répètent inlassablement, sans la moindre conviction. En fait, je m'en rends compte, ils ne répètent ce mantra que par pure égoïsme ; pour s'assurer qu'il ne te laisse pas seule avec ton angoisse. Une personne angoissée est une personne angoissante ; il ne faudrait pas se faire contaminer... mais dans le fond, est-ce que je peux leur en vouloir ? L'angoisse et la peur sont tellement pénibles à supporter.


Je jette un dernier regard à la psyché qui orne un mur de ma chambre désordonnée, et tente de me débarrasser ma nervosité en défroissant les plis inexistant de ma jupe neuve. Evitant mon propre regard dans la glace, je parcours mon reflet des yeux, à la recherche du moindre défaut. Mais non, l'uniforme est impeccable, bien que trop stricte à mon goût. J'avais pesté en le voyant arriver, lui et le règlement intérieur qui stipulait qu'il s'agirait du seul vêtement autorisé dans l'établissement. J'avais pesté, sans oser le toucher pour autant. Après tout, il faisait partie de mon « pass » pour accéder à ce nouvel établissement. Il devait être parfait. Et maintenant que je l'enfile pour la première fois, je ne peux m'empêcher de le trouver extrêmement chic. Très, sans doute trop, pour la personne que je suis et qui va le porter cinq jours sur sept pour le restant de l'année. Oui, la fausse note de ce reflet, c'est moi. Moi et mes rondeurs, mon visage sans mascara (pour la simple et bonne raison que je ne supporte pas son contact, je finis inévitablement par ma frotter les yeux au cours de la journée), mes cernes et mes yeux fous témoignant de ma détresse. Moi et mon incohérence, ma différence qui m'avais fait fuir mon précédent collège. Je m'adresse un sourire triste : « On ne se refait pas, hein ? » je murmure doucement. L'angoisse qui m'étreint depuis le réveil s'intensifie légèrement, et sans m'émouvoir plus longtemps sur mon sort, j'attrape mon sac de cours et sort de ma chambre.

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L'établissement qui se dresse devant moi est vieux, démodé, mais avec ce charme des bâtisses d'un autre temps. En d'autres circonstances, je pense que j'aurais été ravie ou du moins intriguée à l'idée de pouvoir y pénétrer ; mais je ne peux l'empêcher de le voir comme un nouveau mausolée prêt à m'emporter dans les entrailles de la terre. Le précédent établissement avait lui – en comparaison - le charme d'une fosse commune durant la Grande Peste, donc je suppose que j'y gagne au change d'une certaine manière.

Ne vous méprenez pas : le sarcasme ici fait plus office de thérapie que d'une soi-disant assurance enfouie ; je ne préfère tout simplement pas penser à ce qui m'attend.

On m'accueille à l'entrée, avec de grands sourires auxquels je ne suis pas réceptive, comme faisant partie d'une autre dimension. Quelques instructions basiques, comme « Venez-avec moi » ou « Par ici » émanant de l'éminente entité directrice des lieux, me force à bouger et à suivre sa silhouette filiforme dans les couloirs du mon nouveau tombeau. Sous mes pieds, les carreaux de mosaïques défilent sans que je m'autorise à calculer la distance parcourue, et par extension, la distance qu'il me reste jusqu'à ma nouvelle salle de classe. Non, je réfléchis à peine. Jusqu'à ce que les pas de la directrice me précédant s'interrompent devant une porte, la porte. Derrière laquelle je perçois déjà des dizaines de paires d'yeux me fixer intensément, avec curiosité, et une potentielle pitié également. Ce n'est pas drôle de changer d'établissement scolaire, d'arriver en milieu d'année et de devoir s'insérer dans la dynamique si bien huilée d'une salle de classe dont les élèves se connaissent depuis quelques mois déjà, sinon plus. S'insérer. Se faire des amis. Etre apprécié. Participer. Faire partie d'un tout déjà cohérent. Tu parles d'un défi.

Mes pas, visiblement désynchronisé de mon esprit tétanisé, se meuvent de sorte à me faire passer par l'embrasure de la porte, depuis laquelle on m'a invité à entrer. Les yeux relevés, je scrute les trente têtes déjà assises depuis un moment. Des visages... Différents de ceux que j'ai connus. Bien sûr, c'est normal. Ma classe précédente ne m'aurait jamais suivi jusqu'ici juste pour me hanter, mais me retrouver devant autant d'inconnus, quand j'ai moi-même toujours été accoutumée aux mêmes personnes depuis la primaire a de quoi choquer. Des inconnus. Dont je ne sais rien, si ce n'est – maintenant - leurs visages lorsqu'ils sont intrigués et curieux.

Et qui ne savent rien de moi.

Cette simple pensée enflamme aussitôt un brasier d'espoir confus au fond de ma tête. Si je ne sais rien d'eux, et qu'ils ne savent rien de moi, alors nous pourrions être n'importe quoi ou n'importe qui les uns pour les autres. Je peux être n'importe qui. Réécrire la personne que j'étais et qui n'est pas parvenue à plaire, à l'époque. Presque nerveusement, je me mets à scruter chacun de leur visage, cherchant un indice, une personne que j'aurais croisé, par hasard, dans mon ancien collège ou ailleurs, qui saurait qui je suis et qui briserait toute ma théorie merveilleusement abstraite. Mais non, je ne reconnais personne.

Une voix sèche, celle de la directrice, m'intime d'avancer et de me présenter. Réécrire la personne que j'étais. A l'époque, lors de ma première présentation, j'avais opté pour de la modestie, de la timidité, comme n'importe quelle personne impressionné par une foule. Mais ce comportement m'avait valu certains outrages et humiliations ainsi qu'une catégorisation et une mise à l'écart. Je suppose que ça ne peut pas être pire si je prends le chemin inverse. La bouche tordue par un sourire timide, je lâche une courte phrase comme je les aime, résumant à elle seule la personnalité que j'aurais aimé montrer là-bas et que je montre ici, mes intentions et espoirs quant à l'année en cours et à venir, avec l'autodérision dont je fais preuve en petit comité. Cela semble faire mouche, car mes futurs camarades lâchent des sourires et se mettent à pouffer. J'ai bien droit à quelques regards incrédules, mais ce sont les moins nombreux. Et aucune moquerie, tous les regards rieurs – même vaguement - semblent sincères. Je déglutis péniblement. Est-ce que c'est réellement si simple ? Pourquoi est-ce que j'ai raté aussi lamentablement la première fois, alors ? C'en ai presque absurde.

Non, ce n'est pas si simple. Cela n'a duré qu'une poignée de secondes, et il faudra que je travaille pour « réécrire cette personne que j'étais », car on ne se débarrasse pas si facilement de ce qui nous colle à la peau. Mais j'ai souvent entendu dire que si la première impression peut être trompeuse, elle reste la plus importante. Et je crois que je viens de faire une excellente entrée en matière. Peut-être alors que cette année sera différente de la précédente ; et mieux. Peut-être que je pourrais reprendre à zéro, ici. Et avoir une nouvelle vie.


Faeli.

One Shot ChallengeWhere stories live. Discover now