14- Le compagnon de route

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Le pauvre Johannès était très triste, son père était très malade et rien ne pouvait le sauver. Ils étaient seuls tous les deux dans la petite chambre, la lampe, sur la table, allait s'éteindre, il était tard dans la soirée.

– Tu as été un bon fils ! dit le malade, Notre-Seigneur t'aidera sûrement à faire ta vie.

Il le regarda de ses yeux graves et doux, respira profondément et mourut : on aurait dit qu'il dormait. Mais Johannès pleurait, il n'avait plus personne au monde maintenant, ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. Pauvre Johannès ! Agenouillé près du lit, il baisait la main de son père, pleurait encore amèrement mais à la fin ses yeux se fermèrent et il s'endormit la tête contre le dur bois du lit.

Alors il fit un rêve étrange, il voyait le soleil et la lune s'incliner devant lui et il voyait son père, frais et plein de santé, il l'entendait rire comme il avait toujours ri quand il était de très bonne humeur. Une ravissante jeune fille portant une couronne sur ses beaux cheveux longs lui tendait la main et son père lui disait :

– Tu vois, Johannès, voici ta fiancée, elle est la plus charmante du monde.

Il s'éveilla et toutes ces beautés avaient disparu, son père gisait mort et glacé dans le lit, personne n'était auprès d'eux, pauvre Johannès !

La semaine suivante le père fut enterré. Johannès suivait le cercueil, il ne pourrait plus jamais voir ce bon père qui l'aimait tant, il entendait les pelletées de terre tomber sur la bière dont il n'apercevait plus qu'un dernier coin, à la pelletée suivante elle avait entièrement disparu, il lui sembla que son cœur allait se briser tant il avait de chagrin. Autour de lui on chantait un cantique si beau que les yeux de Johannès se mouillèrent encore de larmes. Il pleura et cela lui fit du bien. Le soleil brillait sur les arbres verdoyants comme s'il voulait lui dire :

– Ne sois pas si triste, Johannès, vois comme le ciel bleu est beau, c'est là-haut qu'est ton père et il prie le Bon Dieu que tout aille toujours bien pour toi.

« Je serai toujours bon ! pensa Johannès, afin de monter au ciel auprès de mon père, quelle joie ce sera de nous revoir.

Johannès se représentait cette félicité si nettement qu'il en souriait.

Dans les marronniers les oiseaux gazouillaient. Quiqui ! Quiqui ! Ils étaient gais quoique ayant assisté à l'enterrement parce qu'ils savaient bien que le mort était maintenant là-haut dans le ciel, qu'il avait des ailes bien plus belles et plus grandes que les leurs et qu'il était un bienheureux pour avoir toujours vécu dans le bien – et les petits oiseaux s'en réjouissaient. Johannès les vit quitter les arbres à tire-d'aile et s'en aller dans le vaste monde, il eut une grande envie de s'envoler avec eux. Mais auparavant il tailla une grande croix de bois pour la placer sur la tombe et quand vers le soir il l'y apporta, la tombe avait été sablée et plantée de fleurs par des étrangers qui avaient voulu marquer ainsi leur attachement à son cher père qui n'était plus.

De bonne heure le lendemain Johannès fit son petit baluchon, cacha dans sa ceinture tout son héritage – une cinquantaine de riksdalers et quelques skillings d'argent – avec cela il voulait parcourir le monde. Mais il se rendit d'abord au cimetière et devant la tombe de son père récita son Pater et dit :

– Au revoir, mon père bien-aimé ! Je te promets d'être toujours un homme de devoir, ainsi tu peux prier le Bon Dieu que tout aille bien pour moi.

Dans la campagne où marchait Johannès, les fleurs dressaient leurs têtes fraîches et gracieuses que la brise caressait. Elles semblaient dire au jeune homme :

– Sois le bienvenu dans la verdure de la campagne. N'est-ce pas joli, ici ?

Sur la route, Johannès se retourna pour voir encore une fois la vieille église où, petit enfant, il avait été baptisé, où chaque dimanche avec son père il avait chanté des psaumes et alors, tout en haut dans les ajours du clocher, il aperçut le petit génie de l'église coiffé de son bonnet rouge pointu. Il s'abritait les yeux du soleil avec son bras replié. Johannès lui fit un signe d'adieu et le petit génie agita son bonnet rouge, mit la main sur son cœur et lui envoya de ses doigts mille baisers.

Contes merveilleux, Tome I - Hans Christian AndersenWhere stories live. Discover now