VI

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Oikawa n'avait finalement pas regretté d'avoir donné son numéro à Kageyama. Ils ne parlaient pas souvent, et la plupart du temps leurs conversations s'arrêtaient rapidement, l'un ou l'autre pris par ses obligations professionnelles ; mais au moins une fois par semaine, ils prenaient des nouvelles. Au début, Oikawa s'efforçait de mettre son statut de médecin en avant et faisait mine de s'inquiéter de la santé avant tout, mais les sujets dérivaient rapidement –et quasi tout le temps sur le volley-ball et la carrière de Tobio.

Cela faisait environ trois mois qu'il ne l'avait pas vu ailleurs qu'à la télé, et il était forcé d'admettre qu'il suivait les matchs officiels avec plus d'assiduité que d'habitude, même avec des horaires compliqués. Il se retrouvait souvent devant son écran, le soir, laissant passer sur son visage habituellement impassible un panel d'expressions alors que se déroulait le match ; et plusieurs fois, il se surprit à sourire légèrement quand Kageyama marquait le point, que ce soit par un service, un contre ou, mieux encore, une seconde main. Tooru commençait à reconnaître que c'était jouissif à voir, même si, pour en avoir fait les frais, il ne pouvait que compatir avec les adversaires.

Trois mois, donc, et sachant que la pause hivernale allait arriver pour les sportifs, il se demandait encore très vaguement s'il pouvait voir Tobio ailleurs que dans son cabinet. L'idée d'un rendez-vous était encore trop floue dans sa tête, et il refusait d'y penser ; simplement, il commençait presque à avoir hâte que Kageyama soit malade.

Il était donc à son bureau, tôt le matin –il mettait un point d'honneur à arriver assez en avance pour bien tout prévoir. Le premier patient n'arrivait que dans une heure, et Oikawa prenait le temps d'arroser les petites plantes d'intérieur qui agrémentaient son cabinet. C'est alors que son téléphone professionnel sonna, et il décrocha aussitôt ; une voix qui lui était inconnue et familière à la fois demanda :

-Vous êtes bien Oikawa Tooru ?

A qui donc était cette voix ? Oikawa était sûr de la connaître, mais ne savait plus d'où.

-C'est cela, répondit-il prudemment.

-Est-ce que vous faites des consultations à domicile ?

Oikawa fit une moue. On lui avait déjà posé la question plusieurs fois, mais la réponse demeurait immuable :

-Non, désolé.

-C'est urgent, insista la voix.

Oikawa s'apprêtait à répondre qu'il fallait aller aux urgences, dans ce cas, mais un bruit vague se fit de l'autre côté de la ligne et quelqu'un sembla récupérer le téléphone. Une deuxième voix s'éleva, et celle-là, Oikawa l'identifia tout de suite avec une surprise mêlée de dégoût.

-Oikawa. Ça fait longtemps.

-Ushiwaka-chan, c'est ma ligne professionnelle. Si c'est toi, l'urgence, sache que je ne me déplace pas, au contraire, je m'éloigne le plus loin possible-

-Non, ce n'est pas moi. Kageyama nous a dit que tu étais son médecin traitant, donc c'est toi qu'on a appelé.

-Oh, c'est Tobio-chan ?

Les intonations d'Oikawa s'étaient tout à coup chargées d'inquiétude, et il s'en voulut un peu de le laisser entendre ; mais Ushijima et son tact digne d'une brique ne le sentirait sûrement pas.

-Oui, reprit-il de sa voix monotone et outrageusement sérieuse. Sakusa et moi sommes passés chez lui pour aller jogger ensemble. Il n'a pas l'air bien, alors on s'est dit qu'il fallait t'appeler.

-Et qu'est-ce qu'il a ?

Il y eut un marmonnement inaudible, et le téléphone changea à nouveau de main. Sakusa –Oikawa l'identifiait à présent, il ne l'avait jamais rencontré mais l'avait déjà entendu dans des interviews- reprit la parole :

-Ça doit être la grippe.

Oikawa soupira. Ce n'était pas étonnant, à cette période de l'année, et si Tobio s'était un peu surmené pour finir la première partie de saison, il devait y avoir été plus vulnérable.

-D'habitude, je ne fais jamais de consultations à domicile, marmonna-t-il en jouant avec un stylo. C'est vraiment grave ?

-Assez, répondit évasivement Sakusa. Si vous ne vous déplacez pas, ce n'est rien. Komori doit passer chez moi et ramener des médicaments.

-Sauf votre respect, vous n'êtes pas une pharmacie, indiqua Oikawa d'un air vexé. C'est à moi de prescrire ce qu'il faut.

Si Tooru avait appris quelque chose de toutes les années qu'il avait consacrées au volley, c'était que les volleyeurs les plus passionnés n'avaient pour la plupart rien dans la tête quand ça en venait aux choses du quotidien ; d'ailleurs, Tobio et Ushijima en étaient des exemples flagrants. Et il en déduisait de ne surtout pas faire confiance aux membres de l'équipe nationale qu'il avait en ligne, lesquels s'apprêtaient sûrement à bourrer Kageyama de divers médicaments de manière aléatoire. Il soupira, vaincu.

-J'arrive.

Liquide ou Carte BleueOnde histórias criam vida. Descubra agora