Chapitre 3 : Wally

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Elle ne répond toujours pas. Angoissé, je regarde les nuages noirs qui approchent tout en me retournant la tête. Je baille largement, dévoré par la fatigue. Mais mon esprit tourne à cent à l'heure. Anna n'est pas venue chez Cassie hier, cette dernière m'en a prévenu vers vingt heure et depuis, je ne fais que m'inquiéter.

Je l'ai appelé au moins quarante fois sans avoir aucune nouvelle. Pourtant, même malade au fond de son lit, elle met toujours un point d'honneur à me répondre.

Ses parents non plus ne savent pas où elle est, elle n'est pas rentrée hier soir. Je n'arrive pas à envisager qu'elle ait fuguée -ou quoique ce soit d'autre- sans me prévenir. Nous nous connaissons depuis si longtemps que nous nous disons tous. C'est pourquoi je crains qu'il lui sois arrivé quelque chose de grave.

J'ai accepté de venir au lycée uniquement pour examiner les environs, et je me suis promis d'aller voir la police ce soir si je ne l'ai pas retrouvé. Mais tout me paraît affreusement normal, et mon angoisse ne s'en affole que plus. La cloche sonne le début des cours et je suis obligé de m'y rendre.

Je n'ai jamais passé une matinée pire que celle-ci. Je ne parviens à me concentrer sur rien. Je me contente simplement de faire des remarques vaseuses, dont moi même j'ai honte.

En français, ma matière préférée, je ne trouve rien de mieux à faire que de critiquer dans l'oreil de Ben la tenue de la prof. En chimie, je mets trop de soude dans mon tube à essaie et me brûle les doigts. Quand Adrien et Eliott me fusient du regard, mécontents, je ne trouve rien de mieux à leur répliquer que la solution a coulé toute seule. Ils se rendent vite compte que je ne suis pas du tout dans mon assiette.

Je ne fais même pas la bise à Ashley et Tracy, par flemme, et surtout parce que mon ventre tordu de stresse ne me le permet pas. Mes deux amies prennent un air offensé et je me justifie rapidement :

- Coucou de loin les filles, j'ai l'impression que vous couvez quelque chose, je veux pas être malade...

Elles se contentent de s'esclaffer bêtement et me laissent tranquille.

Je passe le reste de la pause à essayer d'appeler Anna, mais elle ne décroche toujours pas. Brian m'accoste alors, constant mon attitude, et me demande :

- Ça va mec ?

Je le dévisage et glisse un rapide "oui" avant de retourner à mon portable. Il sourit ironiquement et me prend mon téléphone. Je lève alors lentement les yeux vers lui en râlant et il m'expose, sévère :

- Tu ne lève pas la main en français, tu rate ton expérience et tu refuse de faire la bise à Ashley et Tracy alors que normalement tu tuerais pour la leur faire. Ne va pas me faire croire que ça va !

Je le dévisage un moment, ne sachant pas quoi répondre. Je décide finalement de reprendre le téléphone qu'il me tend et le rallume. Le numéro de ma meilleur amie s'affiche en grand et je constate que l'appel a encore basculé sur le répondeur. Toujours dans un état second, je soupire tristement :

- Elle a disparue depuis hier soir. J'ai pas de nouvelles...

Son sourire s'évanouit quand il comprend la gravité de la situation. Il me tape l'épaule pour m'apporter son soutient, puis, me laisse. Le répondeur encore affiché à l'écran et je raccroche, dépité.

Je ne vois pas défiler le reste de la matinée. Mon prof d'SES semble déçu quand je réponds à côté de la plaque à sa question, mais ça ne me touche pas plus que ça. Tout passe au second plan.

Mais quand vient l'heure du déjeuner, je suis quand même surpris de voir Driss, la brute de la classe d'Anna, venir vers moi. Je prends mon plateau et il désigne une table à deux, un peut à l'écart, où il va s'asseoir. Je le rejoins fébrilement et il me regarde m'installer. Puis il inspire un grand coup avant de commencer :

- Salut mec.

Il ne met pas d'intonation dans sa voix ce qui lui donne un air grave. Je déglutis, sachant déjà de quoi il va me parler. Il déclare alors :

- Tes amis cherchaient des gens qui sachent ce qui est arrivé à Anna, et ils sont tombés sur moi.

Inconsciemment, je me sens reconnaissant envers eux. Je ne pensais pas bénéficier de leur aide un jour. Et puis Driss a aiguisé ma curiosité, je sens une bulle d'espoir gonfler dans ma poitrine. Du regard, je l'encourage à continuer. Il me fixe dans les yeux et inspire avant de déclarer, un peu honteux :

- C'est de ma faute si elle a disparue.

- Pourquoi ? Je lui demande vivement, soudainement bien plus alerte.

- Hier, à la sortie de notre heure de colle, je rentrais tranquillement chez moi quand deux mecs m'ont attaqué, expose-t-il rapidement. Je sais pas comment elle a réussit à me trouver mais elle est venue me défendre, et on s'est battus ensemble. Sauf que nos agresseurs étaient trop forts pour nous, et j'ai préféré m'enfuir que de me laisser capturer. Après j...

- Tu l'as abandonné ! Alors qu'à la base c'est toi qu'ils venaient chercher ! je lui crache.

En colère, je me lève, frappe du poing sur la table et m'apprête à partir quand il me retient en m'attrapant le poignet. Il regarde les gens autour, légèrement anxieux. Des dizaines de paires d'yeux sont rivées sur moi, mais je m'en fiche. Je le fixe un petit moment dans les yeux avant de me rasseoir, exigent d'un regard brûlant une explication.

- T'as le droit de dire ça, et je regrette de l'avoir laissé, reprend-t-il à voix basse. Mais...

- Tu l'as abandonné à des fous alors qu'elle venait de te secourir ! Lui fais-je remarquer, amère.

- Oui je sais, mais crois moi, je n'aurai rien pu faire d'autre...

Je m'apprête à lui répliquer qu'il doit trouver autre chose pour se justifier mais il enchaîne trop vite, et bien plus sérieusement :

- C'était pas une bagarre normale mec, rien ne pouvait nous sortir de là...

Le sérieux et la détresse qui pointent dans ses yeux bleu profond parvient à convaincre mon inconscient. Une autre personne aurait balayé cet argument, mais moi, je ne peux pas l'ignorer. Je regagne mon sang froid et l'interroge encore :

- Ces deux types, il voulaient quoi ?

Il s'apaise un peu, rassuré de ma question.

- J'ai pas tout compris, mais quand même assez pour savoir qu'Anna et moi sommes au cœur d'un engrenage bien plus grand que nous le soupçonnions.

Je me fige, réellement inquiet. Driss parle du pouvoir de mon amie, j'en suis sûr. Il a donc lui aussi un pouvoir... On est nombreux dans ce cas ? Je frissonne. Et que veulent dire ces derniers mots ?

Si il connait le pouvoir d'Anna, c'est qu'elle a dû s'en servir, ce qui n'est pas courant. Et maintenant elle a disparue... Ça veut dire qu'elle est vraiment en mauvaise posture. Moi aussi je suis en danger ? Je ne sais plus quoi penser. Driss interprète à sa façon mon air perdu et poursuit, presque avec pitié :

- Écoute, ta copine t'as peut-être caché des choses, mais elle possède hum... Certaines facultés spéciales...

- Oui je sais, moi aussi j'en ai, je le coupe d'une voix faible.

Un éclair de surprise passe dans ses yeux océan.

- Donc tu vois ce que je veux dire, reprend-t-il gravement. Nos agresseurs aussi en avaient vois-tu, et ils savaient mieux s'en servir que nous...

Oui il a raison, je vois ce qu'il veut dire. Et ça me fait vraiment peur. Dépité, je soupire :

- On n'a pas de chance de la retrouver alors...

Je n'aurais jamais crut voir un jour une telle mélancolie dans le regard de ce bad boy. Il n'est que tristesse et honte. Je vois qu'il s'en veut réellement de l'avoir laissée livrée à elle-même, mais aussi sa détermination à la retrouver. Enfin, je peux aussi lire le même doute dans ses yeux que dans ma tête : on n'est pas sûr qu'elle soit encore en vie à cette heure...

- On va essayer, je te jure qu'on va essayer, répond-t-il d'une voix enrouée. Et je sais déjà par où commencer.

Les 4 GardiensWhere stories live. Discover now