Saint-Valentin

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Watson rêvassait, assit à son bureau. Il était seul. Holmes était sortit des heures plus tôt, à la poursuite d'il ne savait quoi. L'après-midi touchait à sa fin. Des bruits feutrés montaient de la rue, des conversations mêlées au claquement des sabots des chevaux, les cris d'un petit vendeur de journaux, un musicien dont la musique lui parvenait ou s'effaçait avec le vent... Le feu crépitait dans l'âtre, derrière lui. L'hiver était doux, cette année. Sa jambe ne lui faisait presque pas mal. Il se sentait bien.

Cela faisait tout juste cinq ans qu'il habitait à Baker Street. Cinq ans. Comme le temps passait vite ! Ces cinq années semblaient immenses, tant elles comptaient dans sa vie, et minuscules, vu la vitesse à laquelle elles avaient filées. Il se demanda distraitement à quelle heure Holmes rentrerait. Pas trop tard, il espérait. Il avait des plans, pour ce soir.

Évidemment, pour le détective, la date ne signifierait rien. Tant mieux. Il n'avait pas envie que son ami déduise le seul secret qu'il avait réussit à lui dissimuler. Car ce secret signifiait tout pour lui. C'était grâce à son existence qu'il avait réussit à se remettre de sa désastreuse campagne militaire, qu'il avait trouvé le courage d'avancer, d'espérer, et de se reconstruire. C'était ce secret qui le rendait heureux et qu'il chérissait comme un trésor, au creux de son cœur, une flamme fragile, inextinguible, auprès de laquelle il allait se réchauffer, lorsque les nuits se faisaient trop froides et trop solitaires.

Son secret tenait en peu de mots, comme la plupart des secrets importants. Il aimait Sherlock Holmes.

Ridiculement simple. Affreusement compliqué.

Car Sherlock Holmes n'était pas homme à aimer. Watson n'avait aucun doute sur sa loyauté, ou la sincérité de son amitié, mais le détective lui avait répété des dizaines de fois, au cours de ces dernières années, qu'il ne tomberait jamais amoureux et qu'il ne le voulait surtout pas. Les passions n'étaient pas pour lui. Il vivait de logique et de rigueur.

Et puis, même s'il n'était pas conventionnel, Sherlock Holmes restait un pur produit de la société anglaise. Que ferait-il s'il apprenait que son colocataire était un inverti ? Il n'alerterait certainement pas la police, mais il lui demanderait de partir. Et Watson ne pouvait supporter cela.

Alors il se contentait de garder le secret, pour entretenir cette flamme qui brûlait dans sa poitrine et lui permettait d'aller toujours de l'avant. Il ne s'autorisait qu'un écart, un seul, chaque année. Le jour de la Saint-Valentin, la traditionnelle fête des amoureux. Ce jour-là, il invitait Holmes dehors, le couvrait de compliments, et il lui écrivait un billet doux qu'il ne lui donnerait jamais.

Son visage retomba sur la feuille qui trônait sur son bureau, encore vierge. Il trempa sa plume dans l'encrier et la posa sur le papier, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, au fur et à mesure que les mots lui échappaient.

Il n'y a que vous pour moi en ce monde, quoi que puisse en dire ceux qui me connaissent si mal.

Il n'y a que vous pour moi en ce monde, quoi que puisse en dire leur morale.
Il n'y a que la beauté gracile de vos mains,
Il n'y a que l'éclat de votre regard,
Il n'y a que la pâleur de votre peau,
Il n'y a que la chaleur de votre voix,
Il n'y a que la profondeur de votre âme
qui me brûle, me brûle,
et me brise en éclats.
Il n'y a que vous pour moi en ce monde,
Et c'est ma seule certitude,
Il n'y a que vous pour moi en ce monde,
Et nul autre que je voudrais aimer plus.

Watson reposa sa plume et relis ce qu'il avait écrit. Un rire lui échappa : c'était rose et mièvre à souhait, un vrai billet de Saint Valentin. Il imaginait la tête horrifiée de Holmes en recevant une telle note. Il peinerait certainement à en comprendre le sens !

Mon très cher Watson... (Victorian Johnlock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant