Recommencer (XV)

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Le téléphone sonna une fois, deux fois, trois fois. Je frappai la couette du plat de la main en espérant tomber sur cet appareil de merde et le réduire au silence. Impossible.

Il devait être quelque part par terre et j'allais être obligé d'ouvrir les yeux. 

Les fentes des volets laissaient entrer des rais de lumière qui éclairaient aléatoirement le désastre de mon appartement. Je rampai jusqu'au bord du matelas et manquai de me ramasser en voyant mon portable et le nom qui s'affichait. Maman.

Je me jetai au sol, m'explosant le torse au passage, et décrochai. 

"Allô Maman ? Tout va bien ?"

"Bonjour mon Lapin, comment tu vas ? Tu as une petite voix. Je ne te réveille pas au moins ? Je sais qu'on est samedi mais il est quatorze heures !"

"Non Maman, tu ne me réveilles absolument pas, j'étais juste en train de euh... réviser."

"... tu n'as pas fini les partiels la semaine dernière ?"

"Si, si si, mais c'est au cas où ! Pour les rattrapages !"

"Parce que tu penses aller en rattrapage ?!"

"Non, pas du tout ! Enfin on sait jamais, pourquoi tu m'appelles ?"

Je lui avais envoyé quelques messages mais je ne l'avais pas eu au téléphone depuis plusieurs semaines. J'étais un fils indigne. Je balayai du regard le dépotoir qui s'étalait autour de moi. Un locataire indigne aussi, sans doute.

"Pour prendre de tes nouvelles. Tu ne m'as pas appelé depuis que tu as eu tes partiels et on n'a pas encore parlé des grandes vacances. Est-ce que tu rentres à la maison ? Ton père me répète que tu es grand et que tu as ta vie maintenant, et je suis contente que tu prennes ton indépendance, c'est très bien si tu t'en sors sans nous !"

"Maman..."

"Je suis très fière de toi Jungkook... !"

"Maman, ne pleure pas !"

"J-Je ne pleure pas."

Je soupirai. Elle croyait que je m'en sortais ? Elle était fière de moi ? Je vivais dans une déchetterie. Je ne savais même pas par quel miracle je m'étais présenté à tous mes partiels. Sûrement l'instinct de survie, et la peur de voir débarquer Yugyeom si je ne me pointais pas. Lui était déjà reparti dans sa région natale, il fallait que j'attende septembre pour le revoir. L'été s'annonçait long et pénible.

Je n'avais aucune nouvelle d'Eunha, je n'allais même plus sur Instagram espionner Kth_95. A quoi bon ? J'avais enchaîné trois ou quatre soirées étudiantes bien arrosées et je me nourrissais exclusivement de pizzas, de kebab à cinq heures du matin et de pitchs fourrés au chocolat. Le sol de mon appartement avait disparu sous les fringues, les cartons vides et les bouteilles d'alcool.

Il me fallut près d'une demi-heure pour mentir et rassurer ma mère à mon sujet. Je promis de passer au moins trois semaines de vacances avec eux, je lui dis d'écouter papa et que je m'en tirais comme un chef. Je raccrochai après avoir inventé un rendez-vous au parc avec des amis, alors que je n'avais pas vu la lumière du jour depuis le dernier après-midi de fac. Dépité par mon comportement, je traînai des pieds jusqu'à la salle de bain.

Je faisais peur. J'avais les cheveux gras, des cernes en poche de kangourou et le teint gris. J'éteignis bien vite le néon incrusté dans le meuble-miroir au dessus du lavabo et je retournai dans la pénombre de la pièce principale. Je manquai de trébucher sur un de mes bouquins de cours dissimulé sous deux t-shirts sales.

Merde, Jungkook, tu crains.

J'avais touché le fond, on y était. Même Yoongi un lendemain de cuite avait meilleure mine.

Quand la nuit tombeWhere stories live. Discover now