Chapitre 38 - L'oisellerie

102 29 55
                                    


Églandine relut son message une dernière fois avant de le refermer d'un morceau de fil dentaire trouvé dans la salle de bain de l'auberge. Derrière elle, Pierrick et les oiseaux s'observaient dans un silence poli.

– Voici votre fier messager, annonça l'éleveur en revenant de l'arrière-boutique, un pigeon dans les mains. Il s'appelle Bec d'Acier et il livrera votre mot doux en moins d'une semaine !

Il présenta l'oiseau à sa cliente.

– C'est pas un mot doux, c'est juste une lettre, contesta celle-ci avant de s'intéresser à son champion. Dites, vous êtes sûr qu'il saura retrouver le chemin ? On dirait qu'il n'a pas bien dormi.

Le responsable des pigeons voyageurs et autres colombes troubadours, un homme qu'une quarantaine d'années devinables à l'épaisseur la couche de de guano qui recouvraient sa tunique, secoua son volatile pour lui redonner un peu de volume. Autant agiter un poulet rôti, il aurait eu plus d'allure que le piaf déplumé qui roucoulait d'aise, malgré qu'il soit tenu à l'envers. Il donnait l'air de regarder dans deux directions très opposées, l'une étant hier et l'autre une dimension que seuls certains oiseaux devin ou particulièrement crétins pouvaient percevoir.

– Il vole droit au moins, votre piaf ? Il penche d'un côté.

– C'est juste qu'il a le mal de terre... Il préfère voler. C'est un battant, je vous dis ! J'offre le meilleur rapport qualité/prix de toute l'oisellerie centrale !

Églandine ne se sentait pas de discuter le tarif avec un homme couvert de fiente. Elle paya les six sous que coûtait l'envoi (les prix avaient encore augmenté cette année) et récupéra le pauvre Pierrick qui servait de perchoir pour tous les pigeons du magasin. Par une chance insolente à laquelle seule celle de Pierrot aurait pu rivaliser, aucun ne s'était soulagé dans sa chevelure, ce qui n'était pas le cas d'Églandine qui commençait à en avoir vraiment assez de cette ville et de toutes ses tracasseries aériennes.

La journée était encore jeune. Par les fenêtres, les martinets et les passereaux filaient et chantaient à tue-tête dans le ciel d'un bleu bien vif, et dans les allées les passants vaquaient à leurs affaires avec bonhomie comme n'importe quel veinard dénué de destinée. À peine en avait-elle terminé avec son courrier qu'Églandine décida sur un coup de tête de visiter le reste du bâtiment en emmenant Pierrick avec elle. Et ils avaient de quoi faire, car il s'étendait sur une centaine d'étages circulaires en un gigantesque complexe commercial destiné aux plaisirs de l'ornithologie et à tout ce qui y touchait. Assez large pour laisser passer le flot continu des clients, un escalier en colimaçon montait jusqu'au sommet. Les devantures de dizaines d'échoppes intérieures (graineterie et alimentation, fournisseurs de matériel divers et varié, entretiens et soins des plumes, spa et toiletteurs ornithologiques, accessoires de mode pour oiseau) accueillaient les visiteurs à tous les paliers, et l'arrière de chaque boutique s'ouvrait en une volière donnant sur l'extérieur.

En partant du bas, on trouvait les oiseaux maladroits ou de monte comme les autruches de courses, ainsi que les petites et grosses poules de luxe et celles de compagnie, alors que le sous-sol était réservé aux chauves-souris qui s'échappaient dès la nuit tombée par les soupiraux grands ouverts, en larges nuages de velours noir et criaillant. Venaient ensuite dès les cinquièmes étages tous les passereaux dans leurs plumages colorés : les hirondelles d'or, les bergeronnettes à dentelle et autres merles perlés qui faisaient la fortune de leurs éleveurs et la joie de leurs collectionneurs. Au-dessus d'eux on trouvait les oiseaux messagers, puis de transport, et encore ensuite ceux de chasse sinon ils se vexaient d'être relégué en dessous des autres... Et il était difficile de faire entendre raison à un faucon ou un aigle bleu à cause de leur esprit obtus et jaloux. Enfin tout en haut était installé les vautours ; parce que personne ne voulait d'eux plus bas, avec leur grand cou déplumé et leurs airs de croque-morts.

Églandine, le Magicien, la Princesse et les tonneauxWhere stories live. Discover now