Chapitre 19

17 2 7
                                    

_ Qu'es-che que t'as ? demanda Maël, une part de pizza dans chaque mains.

_ Je me sens mal pour Tyfen. Je lui ai fait la leçon concernant le fait de parler de vérité, alors que je suis la moins bien placée pour le faire.

_ Comment cha ?

_ Je me permets de lui dire de montrer la vérité, alors que je suis un mensonge à moi seule, Maël. Mais... j'ai cette constante frustration qui me ronge. Je me pose sans arrêt la même question qui tourne et tourne dans ma tête. Qui je suis ? Mon père a bien essayé de me faire comprendre que ce n'est pas en un claquement de doigt qu'on le découvre, mais malgré tout, ça reste. Comment je suis censée faire pour m'aimer, si je sais pas quoi aimer ? Et comment je saurais trouver une personne qui m'aime pour ce que je suis réellement, si moi-même je ne le sais pas ?

_ Tu trouveras. Tu penses mentir, mais c'est pas complètement le cas. T'es une fille débordante de pensées et de valeurs, intelligente, drôle, gentille, et pas trop moche.

Je souris, sans vraiment savoir pourquoi.

_ On a tous une carapace, reprit-il, et c'est tout à fait normal. Notre carapace est notre repère, notre refuge. En fait, on est grave des tortues.

Il semblait sérieux, ce qui, étrangement, me réconforta davantage. Il poursuivit sur le même ton :

_ Je te préviens tout de suite, je suis Raphaël. Il est tellement badass.

_ Je t'aurais plutôt imaginé en Michelangelo.

_ Tu m'expliques comment je pourrai pécho avec un nom pareil ?

_ C'est le nom qui te poserait problème ? demandai-je intriguée. Pas le fait d'être une tortue ? Sans vouloir insulter Franklin, les tortues, c'est pas sexy.

_ Ouais mais, Franklin n'a pas de nunchaku.

Je ris. Il avait le don d'égayer la vie des gens, avec de simples mots, de simples gestes, de simples expressions. Il avait la capacité d'éclairer une pièce sans donner l'impression de le faire exprès. C'était probablement la raison pour laquelle tout le monde l'aimait et essayait de le capturer. Tout le monde veut un Maël dans sa vie. Tout le monde a besoin d'un rayon de soleil pour chasser le brouillard et calmer les tempêtes. 

_ Pour rester dans la catégorie 'confidences' : j'ai jamais embrassé de filles, lança-t-il brusquement. Ni personne d'autre d'ailleurs. Je sais que ça te parait improbable en regardant mes lèvre si désirables, mais c'est le cas. Et pourtant, j'ai réussi à faire croire à tout le monde que j'avais des tonnes de conquêtes à ma charge.

_ Mais, toutes ces filles avec qui tu es sortis, c'était...faux ?

_ Pas vraiment. J'avais des rencards, je flirtais avec elles, et on se plaisait mutuellement, mais j'en ai jamais embrassé une seule.

_ Pourquoi tu fais croire le contraire à tout le monde alors ?

_ Pour pas leur montrer que ça me fait peur.

J'haussai un sourcil, tandis qu'il savourait son smoothie chocolat-banane-myrtille.

Ça me paraissait vraiment insensé.

J'avais toujours imaginé Maël en Don Juan des temps modernes. L'éternel séducteur, incapable d'entretenir une relation sérieuse.

J'avais toujours imaginé Maël en personnage hollywoodien. Le serial-lover, l'ennemi du coeur de ces dames. 

Mais j'avais également toujours cru en un Maël stupide, immature et complètement à côté de la plaque. Un Maël pour qui vie rime avec folie.

Je me rendais compte que, petit à petit que j'avais fait de Maël un parfait stéréotype. Ce que je détestais que l'on fasse de moi.

J'avais cru en ce qu'il montrait.

_ C'est parfois plus facile de croire en des choses qui n'existent pas, plutôt qu'en la réalité, continua-t-il.

_ Pourquoi tu fais tout ça ?

_ Parce que j'ai une réputation à tenir, pardi ! Et puis, tu crois que le silence de toutes ces filles était gratuit ? Ma collection de cartes Pokemon y est passée. Je ne veux pas avoir perdu Ponyta pour rien.

_ Repose en paix Popo, ironisai-je.

_ Sacrebleu ! Ne le souille pas plus qu'il ne l'est déjà.

Une minute de silence s'installa ensuite. 

Je ne savais pas vraiment si nous la réservions en la mémoire du cheval, mais je la respectai. 

Ça n'était ni pesant, ni gênant.

C'était juste un silence, tout ce qu'il y a de plus normal.

Puis, en observant le jeune homme gratter le fond de son gobelet, je décidai de briser le calme : 

_ Les gens méritent de connaître le garçon génial et intelligent que tu es.

_ Je pourrais en dire autant de toi, Grage.

_ Grage ?

_ Ton nouveau surnom, annonça-t-il tout enthousiaste. A défaut de ne pouvoir mixer ton nom à celui d'un garçon - paix à ton célibat -, contentons-nous de l'adjectif 'sage'.

_ Pourquoi ?

_ Bah, ça aurait fait trop long si je l'avais muté avec 'rabat-joie'.

_ Tu es cruel.

_ Non, je suis Maëlégendaire.

_ C'est absolument nul, lui fis-je remarquer en riant.

_ Chut, Grabajoie.

Nos regards s'emmêlèrent et s'engagèrent dans une ridicule bataille. Trente secondes plus tard, le restaurant retransmettait l'écho de nos éclats de rire, ce qui sembla agacer plusieurs clients. 

Habituellement, je me serais rétractée. 

J'aurais pris en compte le regard des autres.

Mais, étrangement, là, ce ne fut pas le cas.

Je me sentais libre. 

Je me sentais bien. 

Je me sentais à ma place.

Maël reprit plus rapidement son sérieux.

_ On arrête de se cacher. On arrête d'être ce qu'on voudrait être et on devient qui on est. Deal ?

J'hésitai.

Je savais que je perdrai des gens si j'acceptais.

Mais je savais également que je pourrais gagner plus. 

_ Deal.

Beaucoup plus.

graceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant