Chapitre 1

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Pour aider nos semblables, nul besoin de devenir soldat à tout prix. Il existe d'autres manières honorables de contribuer à la survie de l'humanité.



- C'est toujours pas prêt, Theo ?! Ça commence à râler, en salle !

- Je fais ce que je peux, figure-toi ! Je te rappelle qu'on n'a pas été livrés ce matin et que je dois improviser un repas pour quarante personnes avec deux pommes de terre et trois feuilles de salade !

En temps de crise, chacun lutte avec ses propres armes, à son propre niveau. Du moins, c'est ce dont Theo avait toujours essayé de se persuader. Après tout, nourrir un régiment est une tâche importante et un bon repas peut participer à remonter le moral des troupes. Partant de ce raisonnement, elle s'était exclusivement consacrée à l'activité culinaire pendant bientôt vingt ans, avec passion, avec application, avec acharnement. Mais depuis quelque temps, elle reconnaît se sentir de moins en moins sûre de son utilité dans la bataille... Elle lance vers la salle un regard plein de lassitude. Une quarantaine de soldats, regroupés autour de quatre grandes tablées, manifestent bruyamment leur impatience. Certains s'amusent à faire tinter leurs couverts sur les assiettes en métal, histoire de faire peser encore plus de pression sur la pauvre cuisinière au bord de la crise de nerfs. Elle rabat en arrière une mèche de ses longs cheveux noirs et essuie la sueur qui perle sur son front.

Bonjour l'âge mental... Et regardez-les, ceux-là, en train de se vautrer comme des pourceaux... Ça ne fait rien de ses journées et ça se prétend soldat... Cherchez l'erreur.

- Tu rêves, ou quoi ?! l'interpelle fermement son camarade en lui donnant une tape sur l'épaule.

- Hein ?! Non, non, je constatais une fois de plus les bonnes manières de nos chers gradés...

Elle pointe du doigt la table des supérieurs et Gerald jette un œil désabusé vers les soldats qui se sont précipités sur les bouteilles de vin pour patienter en attendant les plats qui tardent à arriver.

- Ben oui, et ça va prendre encore quelques minutes ! vocifère Theo, de plus en plus contrariée. J'aimerais bien vous y voir, moi, à bricoler avec des fonds de tiroir !

- C'est toi qui voulais travailler pour les militaires... lui fait remarquer son collègue avec un air espiègle.

- Moui... Si j'avais su que ça se passerait comme ça, je serais restée à Mindel, ça m'aurait épargné de me coltiner Runge et consorts... Je regrette l'époque où on travaillait à la Garnison. Ils étaient sympas, là-bas, au moins.

Tout en remuant distraitement le contenu d'un énorme faitout, elle se remémore avec nostalgie son premier emploi, au sein de la Garnison de la petite ville de Mindelheim, où Gerald et elle avaient été engagés à l'âge de 15 ans. Ils étaient tellement pleins de détermination et d'espoir, à l'époque... Depuis l'enfance, ils étaient comme frère et sœur, et malgré quelques réticences, il avait finalement accepté de servir l'armée lorsqu'elle lui avait proposé. Elle se revoit, peu après leur arrivée, dans la cuisine de la caserne à moitié carbonisée, en train d'expliquer tant bien que mal que la marmite avait pris feu alors que Gerald se répandait en courbettes pour éviter qu'ils se fassent renvoyer tous les deux dès le premier jour. Heureusement qu'ils ont gagné en professionnalisme, depuis ! Elle esquisse un sourire mélancolique avant d'être ramenée à la réalité par les rires lourdauds des soldats en train d'élaborer des stratégies pour être dispensés d'entraînement un jour de plus.

- Tu sais, c'est parce qu'on fait du bon boulot qu'on a été mutés aux Brigades Spéciales, ajoute Gerald avec bienveillance. Tu vas pas te plaindre, quand même ! Je préfère nous savoir en sécurité ici. Et puis, on a tous les ingrédients qu'on veut !

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