Lavande

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J’aimais les fleurs. Et la route qui descendait chez tante Marie sentait la lavande, à plein nez. Ce fut mon premier bonheur du voyage. En huit heures de route en partant de Paris, dans la Clio que mon frère m’avait prêtée, enfin, je baissais la fenêtre et ralentit. A la surprise de tout le monde, me pensant apparemment incapable de conduire, j’avais pourtant eu mon permis quelques semaines avant. Mon permis, et mon bac. En pleine période de bonheur et de fête autour de moi, je goutais une joie amère.
Je partais pour la première fois en vacances seul, chez ma seule alliée, ma tante. Je fuyais Paris, ma ville natale et seule ville que je connaissais à vrai dire, et je fuyais mes parents, mon frère, et ceux qui s’étaient un jour dit mes amis. Je fuyais ma « vie d’adulte » qui me fonçait dessus. Je n’avais pas tant peur des responsabilités et de devoir me gérer, j’avais peur de ne pas avoir le droit de faire ce que j’avais envie de faire, être qui j’étais réellement, sans correspondre à un type, à un moule que l’on voulait m’imposer.
J’aimais les fleurs ; et c’était un problème.


Pour arriver chez tante Marie, il fallait descendre un chemin un peu chaotique qui serpentait au milieu des vignes et des champs de lavande qui embaumait l’habitacle en cuir. On arrivait alors à la maison bleue qui se fondait dans le ciel, qui sentait le soleil, et la tranquillité. Si je n’avais pas eu tante Marie, j’aurais sans doute pensé que j’avais été adopté. Parce que je ne correspondais pas à ma famille, à ce que mes parents, tous deux cadres d’une grande entreprise de marketing international, attendaient d’un fils. Ils ne me considéraient pas comme normal, me jugeait, me critiquaient sans cesse. J’étais trop naïf, trop féminin, trop candide pour eux. Je les énervais, je me demandais pourquoi devoir faire une école de commerce alors que moi je voulais m’occuper des fleurs, d’une quelconque façon.

Il y avait dans le village de ma tante, une propriété qui appartenait à un très vieil homme, monsieur MacReady. Un vieil irlandais qui sans trop bien qu’on sache pourquoi, était venu s’installer ici dans les années quarante, à la fin de la guerre. L’hiver passé, Marie m’avait appelé pour m’annoncer son décès. Je ne connaissais de ce grand-père, que son jardin. Merveilleux, merveilleux jardin, rempli de fleurs, d’arbustes et d’arbres fruitiers. Rempli d’odeurs, de couleurs et d’une chaleur humaine. J’étais fasciné par la nature, cette faculté à renaître, années après années, sans avoir eu besoin de l’Homme pendant longtemps. Mais le talent qu’avait certains Hommes pour façonner cette nature pour en faire quelque chose d’extraordinaire, me fascinait tout autant.

Je m’habituais à la vie dans le village calme, où tout le monde semblait vieux, où la vie allait lentement. Les commerces ouvraient tard, fermaient tard. De vieilles dames traînaient devant le coiffeur, de vieux hommes trainaient aux terrasses des cafés, fumant une gitane ou un cigare. Ici, on me connaissait depuis toujours ; j’étais venu passer tous mes étés. Ici, pour une raison qui m’était inconnue, on ne me jugeait pas. Ce village minuscule, perdu au milieu de vignes sèches, d’oliviers et d’amandiers, perdu entre les foires à tout du samedi et le marché du dimanche, je pouvais être qui j’étais vraiment. On me souriait, on me saluait, on me disait comme j’étais devenu beau garçon, et même si parfois, j’aurais voulu les corriger, j’étais heureux malgré tout.



Trois jours après mon arrivée, le vendredi matin, en rentrant à pieds du minuscule centre-ville, je grimpais le petit sentier de pierre. La route était escarpée, bordée de cyprès massifs et odorants qui créaient de l’ombre. Je me souvenais parfaitement de la route, et la fis sans même avoir besoin de réfléchir à là où j’allais. Néanmoins, alors que se dessinait devant moi les barrières de la propriété, une question me vint. Qu’allais-je faire ? Qu’allais-je dire si je croisais quelqu’un ? Je n’avais aucune raison, aucune légitimité à être là.
Une main sur la barrière, je découvris que le jardin n’avait pas changé depuis la dernière fois. Les arbres étaient majestueux, les arbustes taillés avec précision, les fleurs abondaient en un parterre multicolore mais organisé. Les fruits pendant au bout des branches étaient épais, gorgés de soleil, les légumes au sol étaient aussi gros que mon poing. J’aurais voulu tout toucher, tout respirer. Je tendis les doigts vers une touffe de lavande qui dépassait à portée de main et caressait les fleurs pour faire danser leur odeur devant mon nez. Je fermais les yeux, me laissais inspirer pleinement et profiter, mais un bruit dans les graviers suivit d’une ombre qui vint recouvrir ma vue, me fit rouvrir les yeux.

  Un grand rouquin, d’une chevelure de feu cuivrée, toute en boucles qui retombaient sur son front, un nez retroussé et une constellation de taches de rousseur sur ses pommettes, appuyé sur une bêche, me dévisageait. Je ramenais à moi ma main restée en suspension au-dessus de la lavande, me sentant rougir jusqu’à mes chevilles. Je rabattis les pans de ma veste en jean pour couvrir le haut que je portais et aurais tout donner pour porter la même salopette tâchée que lui, plutôt que mon short.

“Bonjour ?”
Je restai parfaitement quoi, observant son visage sans aucune discrétion. Il n'avait pas l'air méchant, ne semblait pas vouloir me chasser, mais je ne savais pas quoi dire. Je me retrouver dans cette situation que je ne connaissais trop bien, où je ne savais tout simplement pas quoi faire de moi et où je me rendais compte que ma présence était gênante. Mais je ne pouvais pas bouger.

“ Je... Je connaissais un peu l'homme qui habitait ici avant. Mais je sais qu'il est mort désormais.
- C'était mon grand-père, dit-il.
- Oh... Je suis désolé alors. Pardon, je ne savais pas.
- Pas grand monde ne le sait. Je ne suis arrivé qu'il n'y a quelques mois. Et je ne sais pas si les gens parlaient beaucoup avec lui. Du moins, lui il ne me parlait jamais de personne.
- Je ne t'avais jamais vu ici avant.”

Il eut un petit sourire en plongeant ses mains dans un bac d'herbe qui était à ses pieds après avoir posé sa bêche au sol. Je ne bougeais pas, il ne m'avait pas invité pas à partir, ni à m'asseoir non plus, juste comme si ma présence ne le gênait pas, comme si j'étais libre de faire ce que je voulais tant que je ne le dérangeais pas dans son travail. Parce qu’il continuait, circulant devant moi, me jetant de petits regards de temps en temps.

“Je ne suis pas d’ici, je suis arrivé d’Irlande. Comme mon grand-père. Je m'appelle Elraïn. Et toi ?"
Il releva les yeux pour me voir tandis que je lui répondis :
- Nathan.
- T'as pas une tête à t'appeler Nathan.
- Ethanaël, corrigeais-je."
Il acquiesça, sembla plus approuver mon prénom entier que le diminutif.

"Tu es tout seul ? Repris-je”
Il haussa les épaules tandis qu’il remplissait plusieurs seaux d’eau à ses pieds puis les ramena vers moi.
“ Souvent, oui. Je suis venu sans famille, ils ne voulaient plus de moi.
-C’est triste, non ?
-Non, je finirai par trouver quelqu’un qui veut de moi.”

Sans pouvoir rien y faire, je me mis à rougir en le regardant, trouvant un double sens à sa phrase. Il examina l’étendue de fleurs à ses pieds qui nous séparait.

“Tu aimes les fleurs ?
-Les fleurs c’est pas pour les garçons. “
Il se mit à rire, d’un rire chaud qui vibra en moi et réchauffa mon cœur qui se mit à battre plus fort. Il secoua sa tête et ses cheveux avant d’ouvrir sa salopette et d’essuyer son front avec son tee-shirt. Il me dévoila ainsi son ventre, tout en muscles, d’un blanc crémeux, bordé d’une ligne de poils cuivrés qui disparaissait dans le pantalon en jean. Je me sentis fiévreux à l’idée qu’il pourrait l’enlever complétement, cette fichue salopette, je resterai là à le regarder.
“Je ne suis pas un garçon, moi ?”
Il n’avait pas raccroché le haut du vêtement qui pendait entre ses jambes, mais se pencha vers moi, par-dessus la barrière, ses bras posés sur le panneau de bois duquel je m’écartais. Son regard s’encra dans le mien alors qu’il était maintenant douloureusement proche de moi et qu’il aurait pu me faire ce qu’il voulait, j’aurais été bien incapable de dire non.
Je le détaillai encore, puisqu’il semblait m’en donner le droit. Je dévalais de ses yeux verts comme les cyprès à ses lèvres pleines, légèrement sèches, sa gorge qui palpitait sous sa respiration, puis ses grandes mains qu’il avait croisées. Je frissonnais, dessinant une chair de poule sur la peau nue de mes avant-bras et de mes cuisses.
“Si. Bien sûr.
-Et j’aime les fleurs.”
Lui aussi me détaillais dans les moindres détails, s’arrêtant longuement sur mes yeux, puis lui aussi mes lèvres qui devaient briller du gloss que j’avais mis. Puis il descendit encore, mon haut blanc, à peine transparent que laissais entrevoir ma veste en jean laissée ouverte, puis encore plus bas, le short que j’avais recoupé moi-même pour qu’il arrive bien en haut de mes cuisses.
“Moi... Moi aussi, avouais-je à mi-voix.”
Etrangement, même avec cette façon parfaitement indécente qu’il avait de me regarder, il n’arrivait pas à me mettre mal à l’aise. Il aurait pu m’allonger dans les fleurs et me faire gouter le fruit du bonheur, je l’aurais laissé faire avec délice. Je me mordis la langue d’avoir de telles pensées envers lui, que je connaissais objectivement depuis à peine une heure et qui très certainement, préféré courir après de jolies vraies fleurs qu’étaient les femmes, qu’après moi, fleur de pacotille.
“Et j’aime les garçons qui aiment les fleurs.”

Boy who loves Flowers (BxB)Where stories live. Discover now