Chapitre I

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J'avais pris l'habitude d'aller certains dimanches aux vide-greniers près de Paris, où j'habitais pour tenter de percer dans le cinéma. J'avais le courage de me réveiller très tôt, en sacrifiant la seule grasse matinée que je pouvais m'octroyer de la semaine car chaque jour, je me levais aux aurores pour écumer les castings parisiens. La tête dans les nuages, je me préparais en faisant une liste de toutes les choses dont je pourrais avoir « besoin » : une nouvelle étagère car celle que j'avais déjà était pleine à craquer de mes livres, un four micro-ondes, le mien venait de tomber en panne, un cadeau pour ma nièce qui allait avoir 7 ans, et un nombre incalculable de romans que je voulais lire. Les vides-greniers me donnaient l'occasion de récupérer un tas de bibelots à des prix intéressants car mon salaire de caissière à mi-temps au supermarché du coin de la rue me permettait seulement de payer mon loyer, de m'acheter de la nourriture pour le mois et il me restait peu de place pour les loisirs. J'espérais décrocher le plus rapidement possible un rôle pour quitter la chambre de bonne dans laquelle j'habitais. Mes parents avaient refusé de me payer le loyer car ils estimaient que le métier d'acteur n'était pas assez stable. Je les comprenais et j'assumais mon choix de vie.

Après avoir préparé mon sac, je descendais les marches de mon immeuble du Xe arrondissement jusqu'au parking, au sous-sol. Je mettais dans le coffre de ma Twingo noire, recue de ma tante pour mes 18 ans, mon micro-ondes et des sacs de courses. Je montais dans ma voiture et je partais en direction du vide-grenier.

Ce dimanche-là, la brocante se situait rue de Bretagne, dans le 3e. Elle durait depuis vendredi et j'espérais que les précédents acheteurs n'avaient pas tout raflé ! Je me garais à proximité et me dirigeais vers l'entrée la plus proche. Je passais de stand en stand en jetant des petits coups d'œil. J'avais réussi à dénicher deux nouvelles étagères et une dizaine de romans pour trois fois rien, mais il me restait encore le micro-ondes et le cadeau pour ma nièce. Je m'étais résignée à acheter neuf le four et le jouet quand je l'ai aperçue. Mon regard s'était posé sur une magnifique poupée de porcelaine blanche. Elle avait les cheveux bouclés blonds, les yeux verts d'eau et un petit sourire en coin qui faisait tout son charme. Ma nièce n'avait que 7 ans mais j'étais sure qu'elle saurait apprécier ce cadeau à sa juste valeur. Je m'approchais du stand pour négocier le prix quand je vis que l'acheteur était assoupi. De nature assez timide, je décidais de ne pas le déranger pendant sa sieste, d'aller m'acheter quelque chose à la buvette et de revenir ensuite. La poupée n'allait pas s'envoler ! 

Je cherchais un endroit où je pourrais m'installer pour me prendre un verre et le boire tranquillement. Je croisais Clara, une amie de longue date, et lui proposait de se joindre à moi. Nous discutions depuis près d'une demi-heure de nos vies bien remplies quand je me rappelais soudain de la poupée. Je remerciais Clara pour ce moment et partais à la recherche du stand. En arrivant là où j'espérais le trouver, une mère et ses deux filles qui vendaient des jouets pour bébés, occupaient l'emplacement. J'avais beaucoup à faire chez moi, donc, à contre-cœur, je traversais la brocante pour rejoindre ma voiture. Une personne me bouscula, je tournai la tête, et je me retrouvai nez à nez avec le vendeur de la poupée. Je l'aurais reconnue entre mille. C'était un homme d'environ 70 ans, il portait un chapeau de pêche, une chemise bleu ciel et un jean troué plein de taches de peinture. Interloqué, il me fixait, en attente d'une excuse certainement :

- Excusez-moi, je ne vous avais pas vu.

Sans réponse de sa part, je le contournais et m'avançais vers la table bancale qui lui servait de stand. La poupée trônait au milieu d'objets en tous genres. L'homme, qui avait retrouvé ses esprits, me demanda :

- Elle vous intéresse ?

- Oui, c'est pour ma nièce.

- Ce n'est pas un jouet pour enfants, répliqua-t-il d'un ton bourru, je veux qu'elle soit entre de bonnes mains.

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