2. Pétage de plombs (version officielle)

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Je débarque comme une furie dans la salle de réunion. Je n'ose imaginer l'image que je renvoie : les joues rougies, la respiration trop forte, mon chemisier parsemé de gouttes orangées, sans compter l'immonde tache qu'arbore ma jupe, présumant un problème d'incontinence. Et, pire que tout, je n'ai pas de présentation.

Rien.

Nada.

Que nenni  !

PEAU DE ZOB  !

Calme-toi, Katheleen. Calme-toi  !

Berthier, situé au fond de la pièce, me dévisage, intrigué par mon comportement. Mon allure dépenaillée le laisse pantois. Tous les collaborateurs sont déjà assis autour de la table. Cette dernière, imposante, de forme ovale et en bois d'acajou, accapare presque tout l'espace. Sans les grandes baies vitrées qui surplombent un Paris en ébullition, on pourrait facilement se sentir oppressés. J'avise d'un œil satisfait la desserte vide, face à la porte. En temps normal, elle est garnie de petits fours ou autres mignardises, mais puisqu'il s'agit d'une réunion interne, où la présence du client n'est pas requise, ces attentions nous sont retirées. Tant mieux. Il n'y a rien

de plus agaçant que de voir ses collègues s'empiffrer et de devoir supporter leurs bruits de mastications.

Tous les regards sont maintenant braqués sur moi. Je pointe mon menton vers l'avant et les toise tous méchamment, les défiant d'ouvrir la bouche. La plupart ont le bon sens de baisser les yeux, gênés. Néanmoins, sur ma droite, un sourire narquois, pour ne pas dire triomphant, me nargue : Dexter. Nom de psychopathe qu'il porte à merveille. La vingtaine à peine entamée, costume bleu nuit assorti à la couleur de ses iris, cravate dans les tons lie de vin, cheveux châtain clair coiffés vers l'arrière par une tonne de gel, nez et menton pointus, visage anguleux. Des caractéristiques qui lui confèrent un air de conquistador prêt à dévorer le monde.

Je carre les épaules, replace derrière mon oreille une mèche blonde tombée de mon chignon, puis m'avance d'un pas fier dans la salle pour m'asseoir juste en face de cet insupportable mégalomane. Adam, le seul dans la pièce à être habillé en jean et baskets, prend la dernière chaise libre à mes côtés.

– Un incident  ? Tu n'as pas trouvé les toilettes à temps  ?

Je toise d'un œil hautain mon adversaire qui vient de susurrer ces paroles d'un ton moqueur.

Je vais arracher tes cheveux gominés et te refaçonner la face à coups de talons  !

– À moins que ça ne soit la crainte d'échouer qui t'ait fait mouiller la culotte  ? D'une manière ou d'une autre, les femmes finissent toujours par mouiller pour moi, se vante-t-il, un rictus de crétin aux lèvres. Ravi de constater que tu ne fais pas exception.

Il me provoque à dessein. C'est son truc : mettre les gens à bout pour qu'ils perdent leurs moyens. Hors de question de lui procurer ce plaisir. Je ne répondrai pas à ses attaques, je suis bien au-dessus de ça. Un feu brûlant s'écoule dans mes veines  ; je bous littéralement de colère. Pourtant, je me contiens et reste impassible. Malgré tout, ma respiration saccadée trahit ma nervosité, ce qui n'échappe pas à Dexter dont les yeux pétillent d'une lueur victorieuse.

On encourt combien déjà pour un meurtre  ?

Sentant mon agitation, Adam pose une main prévenante sur mon bras. Par ce geste, il me fait comprendre qu'il ne faut pas rentrer dans son jeu et laisser couler. Je lui offre un sourire crispé, mais dégage néanmoins sa main.

Ne jamais montrer ses faiblesses. Je suis forte. Déterminée. Je n'ai besoin de personne.

Une fois le laïus du grand boss terminé, Dexter prend la parole. Je me hérisse au son de sa voix gutturale. Comment certaines femmes peuvent-elles trouver cela sexy ? ! J'ai l'impression qu'il vomit à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Comme à son habitude, il est aussi à l'aise qu'un poisson dans un bidet. Un champion lorsqu'il s'agit de se pavaner.

Le pire : il est encensé par toute la boîte. Il est malhonnête, vicieux, perfide. Toujours à manigancer ses coups en douce. Pourtant, sa cote de popularité ne cesse de grimper. Ce fourbe sait y faire : lèche-bottes de première, il graisse la patte du petit personnel, charme la gent féminine par une prévenance exagérée et n'hésite pas à sortir le grand jeu pour la crème de l'entreprise.

Et ça fonctionne. Ce qui confirme que je suis entourée de débiles.

Navrant.

Quant à moi  ? Plutôt crever que de faire des courbettes. Je n'aime pas les gens et ils me le rendent bien. Tout le monde me déteste, ce qui me va parfaitement. L'homme, de nature hypocrite, vit dans un système tout aussi hypocrite. J'ai décidé de ne plus être un mouton. Ce qui fait de moi la méchante. Je dis les choses telles qu'elles sont, tant pis si ça ne plaît pas. Ou plutôt, tant mieux.

Je réalise que mon esprit s'est égaré lorsque j'entends des applaudissements. Dexter se gargarise des innombrables éloges qu'il reçoit.

Donnez-moi un seau que je vomisse  ! Ou un marteau que je l'achève. Oui, un marteau, c'est bien. Ainsi qu'une pelle pour l'enterrer.

– Katheleen, c'est à vous.

Je me lève en remerciant brièvement mon chef. Je n'ai pas l'aisance verbale de Dexter, mais mes idées font toujours mouche. À la différence de ce crétin, je sais cibler les attentes de la clientèle. Cependant, sans mon dossier pour m'appuyer, mes chances de succès sont minimes, j'en suis consciente.

Sous la panique qui m'étreint, je cille. Dexter ricane et quelques téméraires l'imitent. Je vais les étriper, tous autant qu'ils sont  ! Un regard assassin dans leur direction calme instantanément les suiveurs. Hélas, cette mise en garde silencieuse n'impressionne pas mon ennemi juré. Il sent bien que quelque chose cloche, aujourd'hui. L'occasion rêvée d'avoir enfin le dessus, puisqu'il est incapable de me battre à la loyale.

Son sourire s'étire jusqu'aux oreilles, une étincelle s'anime dans son regard. Il n'essaie même pas de cacher son exaltation quand il me lance :

– Oh, mais tu es venue les mains vides  ? Où est ton argumentaire  ?

– DANS TON CUL, FACE DE RAT  !

Il aura fallu exactement une seconde avant que j'explose. Sans que je comprenne comment, l'instant suivant, je suis à quatre pattes sur la table, la cravate de ce fumier dans la main, à serrer de toutes mes forces. Ma rage est telle qu'elle prend le dessus sur tout autre sentiment. Je hurle, frappe, gesticule jusqu'à ce qu'un grand choc me fasse perdre connaissance. 

Sexy paradise Island (Édité)Where stories live. Discover now