5. La journée ne peut pas être pire ? Ah, si... (version officielle)

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♫ LP, « Lost on You »


Après deux heures à ruminer en scrutant le plafond d'un œil morne, je dois me rendre à l'évidence : si je veux quitter ce maudit hôpital, je n'ai pas d'autre choix que d'appeler Adam. Le fameux docteur David est passé un peu plus tôt pour signer mon autorisation de sortie. Quand je lui ai signifié que je ne pouvais pas rentrer chez moi dans cet accoutrement, il a ri. Puis, il est parti. Wow, quel professionnalisme  !

S'il y a une chose que je déteste encore plus qu'Adam Rossi en ce moment, c'est l'idée de me rabaisser devant lui. Exiger qu'il m'apporte des affaires le met en position de force. Peu importe le ton que j'emploierai, il ne sera pas dupe : je lui demande une faveur. Faveur que je devrai lui retourner tôt ou tard. Sauf si, bien sûr, je le tue avant  ; possibilité non négligeable.

Je fais défiler ma liste de contacts.

«  Abrutie B  », «  Abruti D  », «  Abruti H », «  Abruti L », «  Abrutie O  », «  Abrutie Q  »...

Il va vraiment falloir que j'innove en termes de surnoms, je m'y perds avec tous ces abrutis. Je clique sur la fiche de «  Abruti R  », et modifie son nom par : «  Roi-des-Abrutis », puis appuie de mauvaise grâce sur l'icône d'appel.

Au bout de la troisième sonnerie, Adam décroche, un sourire dans la voix.

– Mais ne serait-ce pas la Terrifiante Dragonne Manfrey  ? Que me vaut un tel honneur  ?

– Ta gueule  ! Et écoute.

– C'est toujours un plaisir de te parler. Ciao.

Je bats des cils. Un bip bip indique qu'il vient de couper la communication.

Mes dents s'entrechoquent dans un crissement sonore, tant mes mâchoires se contractent. Je vais le réduire en charpie  !

Les doigts crispés sur l'appareil à m'en faire blanchir les jointures, je réitère mon appel.

– Bienvenue sur la messagerie vocale d'Adam Rossi, le célibataire le plus prisé du Tout-Paris. Je suis indisponible pour les mégères du nom de Katheleen Manfrey, autrement surnommée par ses pairs «  la Terrible Dragonne qui ne connaît pas la polites...  »

– T'as fini tes conneries, oui  ?

– Tu peux mieux faire. Recommence ton entrée en matière. «  Bonjour Adam, comment vastu  ?  »

Je souffle. Un flot d'insultes me brûle le bout de la langue.

– Si tu me réponds encore une fois «  Ta gueule  », je raccroche. Je suppose que si tu m'appelles, c'est que c'est important. Peut-être as-tu besoin que je te rende un service  ? Il est peut-être même possible que je sache de quoi il s'agit, mais gardons le suspense intact. Je préfère que tu me demandes. Gentiment.

Il jubile sans prendre la peine de s'en cacher. Il devrait pourtant savoir qu'il va le regretter. Je suis rancunière. Et tenace. S'il faut attendre des mois pour obtenir ma vengeance, pas de problème. Elle n'en sera que plus savoureuse. Cependant, je n'aurais pas à patienter cette foisci, j'ai déjà ma petite idée. C'est sournois, mesquin et vraiment bas comme coup – même pour moi – mais qu'importe, il l'a bien cherché. Alors, je décide de ravaler quelques instants ma fierté.

– J'ai besoin que tu me ramènes des vêtements. Tu en trouveras dans la penderie de mon bureau.

Comme je passe la majeure partie du temps au travail, j'y ai aménagé un coin «  repos  ». Ainsi, je peux dormir sur place si nécessaire.

– Hum. Sans formule de politesse, je crains de ne pas comprendre. Que désires-tu que je t'apporte  ?

– Des vêtements  ! (Je soupire, puis use d'une voix plus douce qui me hérisse les poils.) Peux-tu m'amener une tenue potable que je puisse sortir de ce maudit hôpital  ?

– Rho, j'ai failli y croire  ! T'y étais presque. Le mot magique, Kate. Il te manque le mot magique.

Je fais craquer ma nuque en poussant un grognement sourd. Adam a toujours été insupportable, mais là, il dépasse les bornes. Ses taquineries vont lui coûter cher.

J'articule avec difficulté, les dents serrées :

– S'il. Te. Plaît.

– Bah voilà, c'était pas si compliqué. J'arrive dans... (La porte de la chambre s'ouvre en grand.) Tadam  !

Non, mais quel...  ! Quel...  !

Je ne trouve pas les mots tellement je suis énervée. Tout ce cinéma alors qu'il est déjà ici avec mes affaires... Si ça, ce n'est pas se foutre de ma gueule  !

– Du calme, Kate. Tu vas finir par t'étouffer de colère. Inspire, expire. Ton sauveur est là.

– Pauvre c...

– Tsss. Ne dis pas de vilaines choses que tu pourrais regretter. Je peux encore faire demi-tour, je doute que tu me poursuives dans les couloirs attifée de cet accoutrement. Non que ton petit cul ne soit pas charm...

– Un jour, je t'arracherai la langue.

– Et tu oserais priver l'humanité de mes baisers sulfureux  ? Quelle méchante tu es.

Malgré sa fausse décontraction, un voile d'inquiétude traverse ses iris. À défaut de lui arracher la langue, il me connaît suffisamment pour se douter qu'il a été trop loin. S'il ne sait pas encore à quelle sauce je vais le manger, il le découvrira bien assez tôt.

Il se racle la gorge, puis finit par me tendre mes affaires.

– Au fait, le frigo de ton bureau est vide. Faudrait que tu penses à le remplir, je n'ai rien trouvé à me mettre sous la dent.

C'est plus fort que lui, il ne peut pas s'empêcher de jacasser comme une pie. C'est à ça qu'on reconnaît les abrutis : toujours à l'ouvrir pour débiter des stupidités qui n'intéressent qu'eux. Adam aime s'entendre parler, il déteste le silence, ça le met mal à l'aise. Alors, je le lorgne, les traits impassibles.

– Je plaisantais, Kate. Déride-toi.

Silence.

– Y a pas à dire, tu sais mettre l'ambiance.

Silence.

– OK, j'ai compris.

Silence.

Il soupire, puis secoue la tête.

– T'as gagné, j'me casse.

La main sur la poignée, il rajoute sans se retourner :

– Tes vacances te feront le plus grand bien. Tu pars ce week-end. Si tu refuses, Berthier te retire ton portefeuille clients. 

Sexy paradise Island (Édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant