Chapitre 21 - Information -

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C'était la fin de la saison des tempêtes. Et cette année, elle avait particulièrement galvaudé son nom. « L'araignée gourmande » n'avait pas dû s'enfoncer depuis la saison dernière. Karl et Julie étaient attablés avec un assortiment de tapas et regardaient les couleurs du soir. Un banc de tous petits poissons tournoyait devant eux. Le banc semblait animé de sa volonté propre, et même s'il se déformait parfois au point de presque se rompre, il revenait toujours à une forme plus sphérique.

— Ce sont des sardines, dit Karl en rompant le silence.

— Tu es sur ? Ils semblent minuscules !

— C'est parce qu'il n'y a que des jeunes dans ce banc. Les bancs de sardines sont toujours composés de poissons du même âge. Les bancs les plus jeunes restent près des cotes pour pouvoir se cacher dans les rochers.

— Je ne te savais pas connaisseur des petits poissons autrement que pour les manger !

— Tous les Nautiques connaissent les poissons. C'est un peu nos animaux de compagnie. Je me souviens que, gamin, mon père m'emmenait voir les bancs près de la surface à la belle saison. Maintenant, on peut être à ces profondeurs presque toute l'année, alors qu'à l'époque ça ne durait que quelques mois par an.

— Tu es si vieux que ça !

L'obscurité commençait à envahir « L'araignée gourmande ». Comme toujours, le patron tardait à allumer. C'était une période calme ou les amoureux pouvaient quitter tranquillement ce bar confortable avant que l'animation de la nuit ne le submerge. Karl et Julie se levèrent, enlacés. Ils cheminaient distraitement et se rapprochaient doucement de la surface. Quand ils passèrent la dernière porte, ils furent surpris par la fraîcheur nocturne. Julie, frissonnant, se blottit contre Karl qui chercha à la protéger tant bien que mal avec sa fine veste de soie. Ils allèrent jusqu'à un promontoire surplombant l'océan. Le noir du ciel contrastait avec la lueur laiteuse de la mer. Sous leurs pieds s'étendait la ville. Les innombrables hublots, phares pour scaphe et lignes de guidage, étaient autant de sources de lumière qui nimbaient ces eaux riches en plancton. Karl se retournait sans cesse, tentant de percer l'obscurité. Il était nerveux. Ces derniers mois, depuis l'équinoxe de printemps, ils avaient été la cible de plusieurs agressions. La Bolding S.A. avait cherché à les intimider. Jusqu'à maintenant, c'était plus franchement pénible que réellement dangereux. Ça avait coûté à Karl un œil poché, et une foulure du poignet. Il ne comptait pas le petit doigt cassé, car c'était en frappant un de leurs attaquants qui lui y avait perdu deux dents. Il jugeait le résultat suffisamment satisfaisant pour oublier les remarques ironiques de ces copains lorsqu'il buvait une tasse de café d'algue le petit doigt levé. En fait, c'était même la source d'une certaine fierté. Tout le monde ne pouvait pas se vanter d'avoir été blesser en protégeant physiquement son amie. Cependant, ils s'étaient bien rendu compte que leurs assaillants avaient des consignes de modération. Ils n'avaient jamais utilisé d'arme, et malgré leur supériorité, ils n'avaient jamais poussé l'agression plus loin qu'une sévère bousculade. Néanmoins, le travail de sape commençait à faire effet. Il n'arrivait plus à être détendu lors de leurs promenades nocturnes. Julie interrompit ces inquiétudes en l'embrassant impétueusement.

— Viens, rentrons. Il y a mieux à faire dans le noir que de le broyer. lui dit-elle.

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Depuis quelque temps déjà ils mangeaient leur petit déjeuner du dimanche dans leur lit. Karl faisait un saut jusqu'au restaurant de quartier et revenait avec suffisamment de victuailles pour tenir une bonne partie de la journée. Traditionnellement, il prenait une tranche de thon cru et essuyait les foudres de Julie qui le traitait de cannibale. Elle entrait alors dans une longue description du sang gouttant des commissures des lèvres, dégoulinant sur le menton hirsute. Elle parlait encore des yeux exorbités et injectés de dizaines de petits vaisseaux virant du carmin aux violacées. Petit à petit, Karl s'efforçait de ressembler à cette description démoniaque. Un rictus déformait son visage, sa respiration se faisait haletante. Son corps se mettait à trembler et sa voix sifflante en appelait au sacrifice d'une jeune vierge. Julie s'enfuyait alors précipitamment du lit, Karl sur les talons. Ce n'est que deux heures plus tard qu'ils réémergeaient pour finir leur petit déjeuner. C'est à ce moment que Karl s'ouvrit enfin de ce qui le troublait depuis la veille.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now