Le Santa Maria

4 0 0
                                    

Le Santa Maria enfournait dans les vagues d'une houle oblique. Les eaux terribles du Golfe de Gascogne secouaient le navire dont les rivets craquaient comme une vieille articulation. C'était le jour de repos de Xoan et il avait repris sur l'étagère les Nouvelles de Saint Petersbourg.
Il se souvenait de la perspective Nevsky, de la Neva, large et endormie sous la lune, sous le ciel bleu d'un jour d'été, du Palais de l'Hermitage, de l'hydroglisseur antique qui pour un prix exorbitant conduisait les touristes à Peterhof en menaçant de se disloquer au moment d'atteindre sa pleine vitesse.
Il se souvenait de la chaleur insoutenable car c'était un été de canicule. Les marins, ses collègues de la flotte russe, se promenaient torse nu dans les rues.
Il se souvenait des filles magnifiques, élégantes, tirées à quatre épingles, qu'il suivait avec son compagnon de voyage, sur la perpective Nevski.
Ce compagnon de voyage était marin comme lui.
Ils suivaient les filles sur la perspective Nevski comme les personnages de Gogol. Mais, n'étant peintre ni l'un ni l'autre ils avaient peur de se ridiculiser comme ce pauvre lieutenant Pirogov chassé par le mari allemand d'une belle qu'il croyait facilement conquérir par le simple prestige de l'uniforme.
Ses souvenirs étaient des souvenirs de vacances, pas de voyage d'affaires. Les forces de l'OTAN n'approchent pas du golfe de Finlande.
Il se souvenait du métro et de ses Escalators interminables, des guichetières ne parlant pas anglais. Il avait du utiliser les trois mots de russe qu'il avait appris dans une méthode rapide pour touristes. De la même manière il avait réussi à prendre un train de banlieue pour se rendre à Pavlov. Les marchands ambulants s'y succédaient pour vendre du dentifrice, des peignes, des mouchoirs, des brosses à dents.
Mais quelle merveille que le palais de Pavlov, qui venait d'être refait à neuf. Au lieu d'être au musée on se sentait invité pour le bal, prêt à glisser sur le parquet au bras de filles magnifiques.
À partir de là il commença à méditer sur l'absurdité de la vie. Que faisait-il sur ce rafiot en ferraille chargé de canon et de missiles. Cela avait un sens dans sa jeunesse. Mais maintenant? Il était amoureux d'une fille rencontrée sur la plage mais lui était en mer, perpétuellement absent. L'absence enfante les chimères, déforme les images. Elle embellit le désir, le fait enfler jusqu'à la souffrance. 

Playa del RioWhere stories live. Discover now