Chapitre 16 : La Sirène de Train

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À peine remis de sa presque noyade, Ravish eut la chance de ne pas avoir grand-chose à faire. Terrorisés, les rescapés de l'équipage effectuaient leurs tâches en rasant les murs. Pas un ne se parlait. Bon.

Sakhar y était allé comme une brute, mais c'était toujours ça de pris.

Ayant l'impression d'être stupide et de sentir le poisson, Ravish cherchait encore à se déboucher les oreilles lorsque Wokabi apparut sur le pont. Fraiche, elle se remettait à peine des effets des drogues consommées pendant la fête du Dieu Tarco, à Hossana. Comment une femme si dangereuse pouvait-elle avoir l'air si gourde ?

-Bonjour, garde. C'est normal, le sang par terre ?

-J'en sais rien. Demande à Sakhar, quand j'ai plongé ils étaient tous vivants.

Interdite, elle contempla les trainées sanglantes, menant jusqu'au bastingage. Puis elle avisa les corps toujours à la surface de la mer.

-Quelle horreur ! Je dois en parler à ce crétin d'esclave ! Où est-il !?

La considérant, Ravish fit mine de tenter de se déboucher l'oreille rien que pour l'énerver.

-Pardons je n'ai pas compris. Tu disais ?

-Sakhar ! Où est-il !?

-En train de se disputer avec Silna, chez le capitaine.

Partant telle une furie dans une envolée de robe, elle disparut rapidement du champ de vision du garde royal. L'oubliant instantanément, il se demanda comment il avait bien pu être assez crétin pour plonger. Il ne savait pas nager ! Quelle stupidité lui avait donc traversé l'esprit !? Et Sakhar non plus ne savait pas nager ! Wokabi, encore, il avait un doute. Mais en bons natifs du désert, les deux hommes n'avaient jamais eu assez d'eau pour pratiquer la brasse.

Commençait-il à s'attacher à cette peau de vache de Prêtresse, pour faire une ânerie pareille ?

Contemplant d'un air distrait les marins terrorisés, il eut bientôt les tympans percés par le hurlement de diva de Wokabi. Debout d'un bond, il se précipita dans la cabine du capitaine. Il s'attendait à tout, à devoir la sauver, à devoir trucider un méchant pirate... Mais certainement pas à découvrir la Prêtresse de la Terre en train de frapper le dos de Sakhar, qui leva un bras pour se protéger lui et la femme allongée sous lui.

-Fumier ! Tu me trompes ! Tu oses !

-Quoi !? Mais que...

-Tu es à moi ! À moi !

Il se prit un coussin en pleine figure, qui retomba sur Silna, car c'était bien elle qui se trouvait là, la jupe troussée sur les hanches. Abasourdit, Ravish l'entendit poussait un grognement frustré et colérique en se dégageant.

-Mais tu vas dégager, oui !? rugit-elle en balançant le susmentionné coussin sur Wokabi...

... Qui se mit à hurler telle une sirène de train. Dépassé, Sakhar la regarda avec des yeux ronds, tandis que Silna se laissait retomber en arrière avec un soupir exaspéré.

Il lui suffisait d'une noyade pour perdre le fil de la situation, apparemment. Toutefois, Ravish bâillonna la Prêtresse de la Terre de la main, avant de la trainer dehors en dépit de son agitation.

Résignés, les deux presque amants se regardèrent, désespérés. Le charme était rompu.

*

Il fallut deux bouteilles de whisky pour mettre Wokabi hors d'état de nuire. Mais une fois cela fait, Ravish eut droit à un résumé de la situation de la part des marins, mais pas de celle des Élémentaires. Si aucun ne rougissait, les deux avaient les dents qui rayaient le parquet.

Deux jours de traversées, encore. Deux jours et ils atteindraient Ydra, la guerre, le sang... Et si tout allait bien pour la Cité-État, ce serait la fin de la liberté de Sakhar. Car s'ils parvenaient à repousser l'armée de Wolff, le contrat serait rempli. Il devrait rentrer les fers aux poings, en esclave et Chien de Guerre de Chameka.

Désolé pour lui, pour eux, Ravish se dit que Wokabi avait bien mal choisi son moment pour se réveiller du coma induit par les drogues. Ou était-ce le Dieu Tarco qui l'avait réveillée, pour arrêter ces ébats entre Élémentaires ? Il ne le savait pas, mais il ne voyait pas comment les remettre ensemble dans le même lit.

Le jour suivant, Silna dormit beaucoup. Elle devait récupérer des forces avant ce qu'elle voulait faire à Ydra, quel que soit son plan d'attaque. Quant à Sakhar... Il était tellement énervé qu'il ne parvint pas à s'endormir, préférant surveiller les marins particulièrement silencieux.

Ravsih en profita pour se remettre de sa presque noyade. Quand il remercia Silna de l'avoir sauvé, elle lui répondit qu'il fallait être un abruti pour plonger quand on ne sait pas nager. Il ne trouva rien à redire à cela.

La tempête annoncée arriva. Si au début elle appliqua ses menaces, c'était à dire qu'elle ignora les cris de désespoir des marins dans la tourmente, elle finit par en avoir assez. Se dressant sur la proue, elle leva les bras, et soumit la mer à son joug. En dépit des cieux déchainés, les flots s'aplanirent, cessant de lancer le navire d'un côté et de l'autre.

Pour le coup, l'équipage applaudit l'Élémentaire de l'Eau, qui les foudroya du regard. Ils se remirent aussitôt à leur poste.

Avec cette mer calme et ce vent déchainé, le bâtiment fusa entre les éclairs déchirant les cieux. Ravish put voir clairement l'effort fourni par Silna, et soudain, il se souvint que dans le même temps, elle tenait les boucliers de la Cité-État d'Ydra, au loin. Néanmoins, tout ce qu'elle réclama, ce fut à manger.

-Depuis combien de temps n'as-tu pas dormi ?

Plus ou moins allongé sur le bastingage, Ravish leva le nez sur Sakhar.

-Et toi ? Tu as une tête à faire peur. Tu as fermé les yeux, au moins, depuis notre départ de la capitale ?

Il grimaça.

-Quasiment pas. Hormis cette fois au Repos.

-Comment tu fais pour encore tenir debout ?

Impressionné, Ravish vit un faible sourire étirer les lèvres de l'Élémentaire. Il était épuisé, cela se voyait. Néanmoins...

-Terre ! Terre !

Ils levèrent les yeux vers le mat, où le guetteur s'agitait avec joie. Pour eux, cela voulait dire qu'ils étaient bientôt débarrassés de leurs encombrants passagers. On appela Silna. Montant sur le pont, la Prêtresse de l'Eau vit bien avant eux les navires d'Ydra. Armés pour les guerres, ils auraient probablement coulé leur bâtiment si elle ne s'était pas tenue là, au vu et au su de tous.

Les vivats qui l'acclamèrent, Sakhar et Ravish les entendirent nettement. Et si l'Élémentaire fut surpris par une telle liesse pour l'arrivée de l'un de ses semblables, il n'en dit rien. Car bientôt devant eu se dessina la Cité-État d'Ydra. Avec, l'enveloppant telle une bulle de savon, le bouclier maintenu par Silna.

-Par les Dieux, murmurèrent-ils de concert.

Elle était foutrement plus puissante que ce qu'ils avaient imaginé !

Chien de GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant