2.Guy

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Sylans n'est pas difficile d'accès, mais il faut tout de même grimper plus haut dans les montagnes afin de rejoindre Charix puis les Neyrolles. Patience s'accroche à la portière à chaque virage. Patience n'a peur de rien, sauf des hauteurs. Elle avait oublié que pour thomas, l'enfant du pays, ces routes constituent un terrain de jeu idéal. Il pilote avec aisance la voiture estampillée « police nationale » le long des parois rocheuses, recouvertes çà et là par la neige. Patience ne dit rien, elle serre les dents. Avoir la trouille en montagne ici, c'est un aveu de faiblesse ! Enfin la route s'allonge loin devant eux et ils rejoignent les anciennes glacières, là où ce matin, est apparue l'enfant aux cheveux roux. Sur place, le secteur est dorénavant interdit au public. Des barrières quadrillent la zone susceptible de révéler le moindre indice. Chastain et Rivard, saisis par le vent glacial, s'approchent avec prudence de l'endroit près duquel la fillette gisait.

—Regardez ça commissaire.

Thomas pointe du doigt la glace qui s'étend devant eux à perte de vue. A quelques mètres au-dessus de la berge, elle semble s'être brisée. Une fine couche de givre s'est déjà formée, mais on distingue nettement les contours du trou béant.

—Si la petite était tombée là-dedans, elle serait morte en moins de trois minutes. Ses vêtements mouillés l'auraient fait couler droit au fond du lac.

—Elle n'a pas pu sortir de là, je suis d'accord avec vous Rivard. Et puis le trou semble trop grand pour une enfant de sa taille

—Je ne sais même pas si son poids aurait suffi à briser la glace, même si elle est plus fragile à cette époque de l'année.

—Et il n'y a aucune trace qui indique qu'elle, ou qui que ce soit d'autre soit remonté par là...

Patience et Thomas sont unanimes : L'enfant n'était pas seule, quelqu'un a traversé la glace et la fillette a tout vu. La commissaire dégaine son téléphone : si les parents de la gamine sont là dessous, personne ne déclarera sa disparition !

—Allo Breteuil ? oubliez les signalements d'enfants disparus, c'est un couple qu'il faut chercher, ou une famille avec une enfant correspondant à la petite : longs cheveux roux, yeux marrons, environ un mètre vingt, moins de 10 ans.

Patience sent l'adrénaline parcourir tout son corps lorsqu'elle croit avoir résolue l'enquête. Si elle a raison, alors les plongeurs retrouveront les corps et la petite sera confiée à un membre de sa famille. Elle espérait secrètement que la gamine n'ait pas été la victime d'un malade qui l'aurait abandonnée là, mais à présent, elle se dit qu'une autre douleur insurmontable l'attend probablement. Quoi qu'il lui soit arrivé, cette petite va souffrir et Patience sent son cœur se serrer à cette idée.

***

Le soir venu, Patience Chastain regagne son appartement confortable du centre-ville. Elle a délaissé son logement de fonction depuis des mois, trop exigüe et excentré à son goût. Patience a besoin du bruit de la ville pour s'endormir. Elle ne supporte pas le sifflement du vent et le hululement des chouettes. Ça lui rappel trop la tristesse de son village natale, là où ils vivaient avant la mutation providentielle de son père, avant la délivrance. Lorsqu'elle passe la porte, elle balance tout à la volée : sac, bottes, vêtements et attrape un peignoir laissé là le matin même, dans lequel elle s'enroule. Du troisième étage où elle se trouve, elle peut observer la place en contrebas et les lumières de la ville. Plus loin, immenses, inquiétantes, les hauteurs du Jura transpercent le ciel. Et quelque part, perché dans cette immensité, elle imagine le lac de Sylans qui garde encore ses secrets.

Patience est passablement contrariée, les recherches concernant les familles disparues n'ont rien donné. Elle tente de se résonner : vingt-quatre heures c'est un délai trop court pour que des proches s'inquiètent de ne pas avoir de vos nouvelles, ils ne trouveront peut-être aucune piste avant des jours, des semaines...Alors elle espère que la gosse pourra répondre à leurs questions dès le lendemain.

La tête remplie de ses réflexions, Patience jette un œil à l'horloge du salon : bientôt neuf heures. Elle attrape son portable, branche ses vieux écouteurs et pianote sur l'écran.

—Oui allô ?

—Papa ? c'est Pat'

Patience explique en détail l'affaire à son père, qui n'en perd pas une miette. Ils ont toujours été proches, même avant le décès de sa mère et depuis son déménagement, elle l'appelle presque chaque soir. Guy Chastain se dit parfois que c'est à un mari qu'elle devrait raconter tout ça, pas à son vieux père et puis il revient à la raison : sa fille, mariée ? Jamais ! Patience se fiche pas mal des histoires d'amour, ce qui la fait vibrer, c'est le mystère ! Après avoir entendu toute l'histoire, Guy conseil à sa fille d'aller interroger les anciens des villages tout proches.

—Il n'y a pas grand-chose qui leur échappe ! Les vieux n'ont que ça à faire : tout savoir. C'est leur passe-temps favori et je parle en tant qu'expert !

Patience rit. Guy est le seul qui soit encore capable de la faire sourire depuis que sa mère n'est plus là. Et puis elle pense à Thomas et à ses péripéties improbables, à ses troupeaux de chèvres. Finalement, Guy n'est pas le seul à réussir cette prouesse.

La jeune commissaire et son père essaient longtemps d'assembler les éléments du puzzle de cette affaire, mais trop de pièces sont encore manquantes et leur stock de scénarios abracadabrantesques est maintenant épuisé.

—Merci papa.

—De rien ma fille. Et tiens-moi au courant !

—Promis !

La nuit venue, allongée au milieu d'une multitude d'oreillers, ses cheveux châtains collés sur son visage brûlant, Patience ne dort pas. Elle voit encore et encore les yeux ronds qui la fixent, les lèvres qui s'étirent et entend le cri déchirant de l'enfant sauvée du gèle. Patience se dit qu'il aurait peut-être mieux valu qu'elle ne se réveille pas, que la douleur en elle reste figée pour toujours, sous la glace cristalline de Sylans.

Les eaux de SylansNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ