¿Tienes Instagram?

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Cette année, j'ai à nouveau travaillé dans cette même crèmerie/boutique. Je n'y ai pas travaillé aussi longtemps cependant cette année, et les anecdotes que j'ai sont moins drôles, selon moi.

Mais il y en a une qui me fait bien rire, et j'ai bien envie de vous la partager.

Ce jour-là, je ne travaillais non pas du côté de la crèmerie comme à mon habitude, mais du côté de la boutique souvenir. Il faut savoir que quand on est du côté de la boutique, on est seul. Personne avec qui parler, sauf les clients qui ne sont pas toujours sympathiques, et le temps est long.

Un bateau de croisière était amarré pour la journée juste à côté, et plusieurs autobus de touristes étaient venus déposer leurs passagers tout près dès le matin. C'était une journée ensoleillée, donc il y avait un bon nombre de clients, même du côté de la boutique, d'ordinaire moins fréquenté que celui de la crèmerie.


À ce moment-là de la journée, il n'y avait pas de clients du tout de mon côté. Je gribouillais des dessins insignifiants sur un bout de facture. Me sortant de mes rêveries, un groupe de cinq ou six hispanophones entre, accompagné d'une dame. Elle semblait être la mère de l'un d'entre eux, et eux semblaient amis. Je ne saurais vous dire s'ils étaient touristes ou bien immigrants, mais bon, l'important dans l'histoire, c'est qu'ils parlent espagnol.

Ils s'avancent dans la boutique, prenant bien le temps d'observer avec minutie chaque article que nous possédons. Dix minutes passent, et la dame dit quelque chose avant de sortir de la boutique (étant donné qu'ils étaient à l'autre bout du magasin et qu'ils ne parlaient pas très fort, je n'ai pas pu comprendre, mais je me doute qu'elle devait les prévenir qu'elle les attendrait dehors).

Les garçons continuent leur visite, te je retourne à mes gribouillages, en restant quand même attentive aux clients. Après tout, s'il y a un vol, ce sera de ma faute à moi. Donc je les observe du coin de l'œil.

Mais tout à coup, je commence à me sentir observée. Je relève la tête, inconfortable, et en vois trois qui me regarde, un qui me pointe et qui chuchote quelque chose à l'autre.

Suis-je paranoïaque? Peut-être pointait-il la magnifique tête d'orignal accrochée sur le mur derrière moi. Oui, ça doit être ça...

Mais le temps avance, et ils restent là, à l'autre bout de la boutique, en regardant distraitement nos articles, et je les entends toujours faire des messes basses. Je me sens visée, et il n'y a plus un doute, c'est de moi qu'ils parlent. Mais je préfère ignorer. Je n'ai que faire qu'ils se moquent de moi. Après tout, je ne les connais pas.

Après quinze autre longues minutes où aucun autre client n'est entré pour me sauver de cette ambiance où plane le malaise, le groupe de garçons s'avance à la caisse. Un d'eux dépose une peluche d'ours polaire avec une feuille d'érable sur son ventre.

Une seconde. Presque trente minutes pour ça? Vraiment?

Je me place derrière la caisse, et les salue en espagnol.

Et là, tous réagissent. Surpris, angoissés, malaisés... il y avait de tout! Leurs visages valaient des millions de dollars.

Je prends la peluche en main, et après avoir fait payer le seul garçon qui achetait quelque chose, je lui demande s'il veut un sac (je demande toujours, peu importe ce que les gens achètent, en espérant qu'ils soient écologiques et mettent leurs articles dans leur sac à dos). Il hoche la tête, et je me baisse sous le comptoir pour en prendre un de la bonne taille.

Je me relève, mets l'ours polaire ainsi que la facture dans le sac bleu, et quand je relève la tête et lui tend, je vois tous les garçons se regarder. Un silence plane pendant quelques secondes. L'un hoche la tête, et un autre élève la voix.

«¿Cuantos años tienes?» (Quel âge as-tu?)

Silence. Hésitante, je réponds.

«17.»

Après encore quelques secondes sans bouger, ils finissent par me dire au revoir. Je leur souhaite une bonne journée, et ils se dirigent vers la porte d'entrée, mais s'arrête à mi-chemin.

L'un sort son cellulaire et les autres s'agglutinent autour de lui, fixant son écran. Ils sortent après une minute ou deux, et, sceptique, je prends une pile de chandails qui a été saccagée par des clients et le place sur mon comptoir pour la replier.

Quelques secondes plus tard, la dame qui les avait attendus tout ce temps dehors entre et vient se placer devant le comptoir pour me faire face. Je la salue, et elle me demande, on ne peut plus sérieuse.

«Quieren saber tu Instagram» (Ils veulent connaître ton Instagram)

Certaine d'avoir mal entendu, je la regarde, les yeux reflétant ma totale confusion et lui demande de répéter.

«¿Tienes Instagram?» (As-tu Instagram?)

Je hoche la tête, perdue.

«¿Me lo darás?» (Peux-tu me le donner?)

S'il s'agissait de l'un deux, je l'aurais remballé et j'aurais refusé. Mais là, c'est la mère de l'un d'entre eux qui fait la messagère! J'étais bien trop gênée de refuser.

Alors, sur un bout de facture, je lui écris et elle le prend, me remercie et sort avec le petit papier.


Ce soir-là, après avoir fini de travailler, je rentre chez moi. J'ouvre mon Instagram et quelle n'est pas ma surprise de voir que j'ai trois nouveaux abonnés et une demande de message privé. J'ouvre alors la discussion et vois que j'ai reçu trois messages.

«Hola» (Salut)

«Qué haces?» (Qu'est-ce que tu fais?)

«Soy el chavo que le dio pena pedirte tu Instagram» (Je suis le gars qui était gêné de demander ton Instagram)

Ce à quoi j'ai répondu :

«Tengo un novio» (J'ai un petit ami, un copain, ou peu importe comment vous dites, nous au Québec on dit «J'ai un chum»)

Après cela, il a envoyé quelques autres messages auxquels je n'ai jamais répondu.


Et voilà pour cette longue anecdote qui m'a amené trois abonnés de plus.

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⏰ Last updated: Jul 25, 2019 ⏰

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Moi & la Crème GlacéeWhere stories live. Discover now