Chapitre 8 : Du plomb dans l'Aile (2/2)

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Dès que la fin de son calvaire avait été annoncé par un délicat carillon, il en avait profité pour filer aussitôt sans un regard pour les autres. À présent qu'il avait avalé avec véhémence les mètres qui le séparaient du bureau du Directeur, il refusa de s'accorder un temps de réflexion supplémentaire. Les lunettes de de Silas Comte, en équilibre sur son nez, faillirent se décrocher lorsqu'il pénétra en trombe dans l'antichambre, sans frapper. Suffoqué, celui-ci allait sauter sur ses pieds pour lui demander des comptes, mais l'adolescent le prit de court en tambourinant contre la porte du bureau de son supérieur. M. Mourrier jeta un œil interloqué dans l'entrebâillement, puis ouvrit en grand lorsqu'il reconnut son filleul.

_ Caleb, que fais-tu ici ? Tu devrais être en cours, remarqua-t-il d'une voix où résonnait l'autorité.

_ Je viens seulement de sortir. Je devais vous parler tout de suite.

Son parrain l'invita poliment à prendre place, et le regarda avec fixité en attendant qu'il se décide à lui expliquer le motif de sa visite.

_ Voilà, je voulais juste vous dire que j'ai pris la décision de partir, annonça Caleb de but en blanc.

_ Partir... ? répéta placidement le Directeur pour l'inviter à préciser sa pensée.

_ Oui. Quitter l'Institut.

Comme pour se donner une contenance, le Directeur changea de position sur son fauteuil et colla la pulpe de ses doigts, coudes posés sur le plateau de son bureau. Il affichait une risette policée et chassait son agacement en repoussant ses longs cheveux lisses derrière son épaule.

_ Tu me dis que tu serais prêt à renoncer à tout ? L'enseignement qui t'est offert ici, un monde dont tu ignores tout, une vie parmi les tiens, ta nature profonde, ton Destin ?

Il posait simplement la question avec un calme olympien, sans jugement, rien qui dénota autre chose qu'un vague étonnement.

_ C'est possible ?

Son parrain émit un petit rire mondain, mais éluda en répondant par une autre question.

_ Et pourquoi voudrais-tu faire cela ?

_ Écoutez, je ne crois pas que l'Ordre subirait une grande perte si son novice le plus médiocre retournait à la vie civile. Je ne suis pas fait pour ça, c'est tout. Je finirai peut-être par trouver ma propre utilité si vous me rendiez à mon ancienne vie.

_ De tous les novices que j'ai eu la charge d'éduquer au rang de Psychopompes, aucun n'avait jamais encore osé franchir cette porte pour formuler une telle requête, remarqua Mourrier presque avec amusement. Pourtant, je sais que la plupart ont nourri de sérieux doutes au début, tout comme toi. Mais de tous, je n'aurais jamais envisagé que cette démarche vienne de toi...

Caleb pinça les lèvres pour ne pas laisser échapper son agacement. D'une part, il avait l'impression que son parrain ne le prenait pas au sérieux, d'autre part, il agissait comme s'il le connaissait intimement de longue date. Or, c'était tout l'inverse et il n'appréciait pas qu'un inconnu présume de son tempérament. Mais ce n'était pas le moment de lui en faire la remarque puisqu'il cherchait à obtenir son droit de sortie.

_ Je ne vois pas pourquoi... Je peux déjà dire que je n'ai aucun talent et je suis encore moins à l'aise avec l'idée de donner la mort que mes camarades. D'ailleurs, s'il n'y a jamais eu de précédent avant moi, c'est peut-être que je n'ai vraiment pas ma place ici.

_ Je n'y crois pas une seconde, asséna le Directeur d'un ton sans réplique. Que tu sois en butte avec ta propre nature, je veux bien l'entendre. Mais tu n'es ni moins doué, ni moins légitime à être ici. Parmi nous, tu es voué à réaliser de grandes choses. Tu as ça dans le sang, que tu le veuilles ou non.

_ Permettez-moi d'en douter, objecta-t-il faiblement.

Comment Mourrier pouvait être aussi certain de ce qu'il avançait ? Il avait l'air d'en savoir plus que lui sur son propre sang, or l'adolescent était lassé d'être le dernier au courant des choses qui le concernaient. Un schéma commençait à se dessiner ici : à chaque fois qu'il discutait avec son parrain, il en ressortait avec plus de questions que de réponses. C'était au point qu'il avait perdu le fil de la conversation et de vue l'objectif qu'il s'était fixé en pénétrant dans le luxueux bureau.

_ Le doute t'ai bien entendu permis, mais il ne te mènera nulle part, philosopha son interlocuteur. Laisse-moi en dissiper quelques-uns pour toi : il n'est pas possible de renoncer à être un Psychopompe, c'est dans ton ADN. Pas plus qu'il n'est possible de renoncer aux obligations qui vont de pair. Tu ne peux pas retourner vivre ta vie parmi les Humains, pour la simple raison que tu n'en as jamais fait partie.

Caleb sentait s'enfuir de lui tout espoir, avec si peu de bruit qu'il en était choqué. L'effondrement de sa vie ne méritait-il pas un peu plus de vacarme ? Son parrain l'observait d'un air indulgent en lui laissant le temps de digérer la sentence.

_ Faire partie de l'Ordre n'est pas aussi terrible que tu sembles le penser. Tu dis ne pas avoir envie de donner la mort ? Ça tombe bien car ce n'est pas ce que nous attendons de toi. Nous ne sommes pas des assassins, nous ne choisissons pas nos cibles, pas plus que nous ne les tuons. C'est l'ordre des choses qui veut qu'elles meurent : "La mort est la dernière parole du destin.". Nous nous contentons d'être dans les parages lorsque la mort frappe afin que l'âme trouve son chemin. Rien de plus.
Songe à l'importance capitale de ce que nous accomplissons. De même qu'il n'y a pas d'ombre sans lumière, il n'y a pas de vie possible sans la mort. Sans la mort, la vie n'aurait aucun sens, mais elle serait, de plus, invivable. Nous sommes l'un des maillons indispensables de la vie.
Nous offrons un guide et un soutien aux âmes qui viennent d'être arrachées à la vie. Sans nous, elles resteraient sur terre à refuser l'évidence de leur mort et à la revivre encore et encore. Nous œuvrons ici dans la lumière.


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Aux lecteurs qui m'ont lue jusqu'ici :
Déjà, bravo ^^ Vous avez fait un bon bout de chemin avec Caleb, de ses tâtonnements au Lycée et sa rencontre avec Zoé à ses premiers pas à l'Institut.  Je vous remercie pour le temps et l'attention que vous avez déjà accordé à cette histoire, rien ne pouvait me faire plus plaisir ! Par ailleurs, le chemin est encore long et j'espère que vous aurez toujours envie de le poursuivre.
Comme vous avez dû le remarquer, j'ai décidé de couper en deux parties mes chapitres. Car d'une part, ils étaient trop longs. D'autre part, ça m'offre un peu plus de temps pour avancer sur mes chapitres d'avance. (Et combattre cette vilaine panne d'inspiration qui m'afflige actuellement ^^")

PS : S'il y a des éléments de l'histoire que vous ne comprenez pas , qui semblent manquer ou qui vous semblent incohérents, n'hésitez pas à me le dire. Ça m'aiderait beaucoup pour retravailler mon texte.


L'Ordre des PsychopompesWhere stories live. Discover now