Chapitre 2 • Le merveilleux se dévoila sous l'œil humain

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Alfred, son majordome, le réveilla peu avant l'aube. Le cinquantenaire avait d'abord appelé son maitre et augmenta le volume au fur et à mesure, puisqu'il n'y eut aucune réaction, de peur de faire face à un cadavre, il l'avait secoué avec force. Manœuvre qui porta ses fruits.

L'interrogation nimbait les yeux noisette du valet, il en avait déjà vu avec Carthew, mais au grand jamais, il avait assisté à une telle déchéance. Quand le noble gesticula par convulsions sur le tapis, Alfred s'éloigna de quelques pas.

— Messire désire un breuvage contre la gueule de bois ? questionna-t-il d'une voix neutre.

En son for intérieur, il maugréait son maitre de sa lacune à se laisser bien trop facilement couler dans les flux de l'alcool. Les débris de verre n'avaient pas échappé à son regard aiguisé et entre autre, la forte odeur des relents de Scotch qui imbibait le veston de Carthew.

Celui-ci se redressa difficilement, les fesses sur le tapis, une main comme appui, l'autre soutenant sa tête meurtrie, il grommela une réponse incompréhensible. Il voulut à plusieurs reprises ouvrir ses paupières, mais celles-ci lui refusaient. La panique le gagna. William tâtonna son visage à la recherche d'une anomalie quelconque. Rien. Aucune douleur lacérante, aucune boursouflure, rien que des paupières closes collées par des sécrétions abondantes.

Quand Carthew essaya de se mettre sur ses deux jambes, les vapeurs d'alcool eurent raison de lui, il tituba d'une démarche soûlarde certifia les soupçons de son domestique. Malgré sa désapprobation, l'homme vint soutenir son maitre pour l'aider à s'installer dans le fauteuil à place unique.

Sa tête lui tournait, une tolérable douleur oculaire pulsait, mais ses pensées étaient claires. Avant qu'Alfred ne se déroba de sa proximité, le baronnet l'attrapa d'une main ferme et força le valet à s'agenouiller à ses côtés pour l'entendre murmurer d'une voix rauque :

— Va plutôt me chercher une lotion pour nettoyer mes yeux, un baume calmant pour ceux-ci et un miroir.

William entendit les petits pas martelés le sol s'éloigner à la hâte. Il s'affaissa dans le sofa, s'enfonça dans le confort du velours. Un soupir disgracieux s'échappa de ses lèvres entrouvertes, une longue et réconfortante expiration qui résumait l'état lamentable de son esprit.

Les pas trottants dans le couloir apprirent à Carthew le retour de son majordome. Il se redressa, le dos droit, les fesses au bout de l'assise en digne noble de l'aristocratie anglaise.

— Messire, voici la lotion et le miroir, j'ai envoyé Juliana chercher un baume chez l'apothicaire.

Juliana, la femme de chambre, un peu simplette mais efficace dans toutes les besognes qu'on lui assignait dans la limite de son possible. Le nanti approuva de son chef l'initiative puis admonesta son valet de bien vouloir lui nettoyer les paupières.

D'une main légèrement tremblante, Alfred s'appliqua à la tâche, pourtant son esprit était un peu ailleurs. Il n'arrivait pas à définir ce qui avait bien contrarié son maitre pour que celui-ci soit d'une humeur aussi exécrable. Il en avait vu de vertes et des pas mures avec Carthew, mais jamais, le noble n'avait été si désagréable avec son personnel. Quelque chose le turlupinait bien plus que la fois où s'était fait rejeter par ses confrères de la noblesse. Son tracas touchait une corde bien plus sensible de son être. Le majordome, connaisseur de son bas statut, se tut, incapable de pouvoir formuler la moindre question qui lui brulait les lèvres. Il devra être patient et à l'affut de l'infime information que laisserait trainer William.

La lotion fut efficace, les paupières du baronnet se décidèrent enfin à capituler. Carthew ouvrit lentement les yeux, la lumière vive à travers la pièce l'éblouit au point qu'il les referma vivement. Désagréable, il ordonna d'un ton tranchant à Alfred d'aller tirer les rideaux. Sans demander d'humbles explications, le faciès contracté de désappointement, le cinquantenaire s'hâta à la tâche non sans un regard en coin au noble. En revenant sur ses pas, ses yeux se baladèrent sur le bureau désordonné de son maitre, il poussa un soupir et, instinct de sa profession, commença à ranger d'une main experte.

La Compagnie de la Rose NoireWhere stories live. Discover now