Chapitre 2 • Les voix des centenaires, sagesse d'un temps révolu °1e partie°

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Pour atteindre l'aéroport d'Athènes, nous avions décidé de nous référer à un moyen plus surnaturel. À l'intérieur des terres d'un même pays, il n'était pas proscrit de nous aider de transports non-traditionnels. Moins coûteux, ils permettaient de ne pas débourser les billets prisés des Ignorants. Étant tous deux étudiants, nous n'avions pas un compte en banque bien fourni.

En connaisseuse, Eulalia me cita les . J'en avais entendu parler vaguement de cette espèce de quadrupèdes. Et pour cause, ils n'en restaient plus énormément sur le sol grec à la suite de l'exploitation des terres par les Humains. Les derniers troupeaux connus broutaient paisiblement dans une réserve nature créée par un couple surnaturel grec passionné.

Quand je lui demandai pourquoi son choix s'était porté sur cette espèce et pas une autre qui peuplait à profusion la Grèce, la Dryade me répondit naturellement que ces animaux avaient la capacité extraordinaire d'être apotropaïque et prophylactique. Je ne savais pas quoi répondre à cette tirade. Devant ma tête d'ignorant, elle m'expliqua qu'ils nous évitaient de mauvaise rencontre lors de notre trajet.

Par respect aux Hippalectryons, nous nous étions éloignés des habitations. Eulalia avait suggéré de bivouaquer à l'orée de la forêt pour attendre les mythiques créatures craintives. La situation m'aurait enchanté si nous n'étions pas en plein hiver et en montagne...

Les mains à quelques centimètres des flammes qui se battaient contre le froid, j'attendais que la Dryade finisse d'appeler nos futures montures. Le ciel dégagé était d'un bleu azur magnifique qui se teintait du soleil couchant. Une couche de givre avait recouvert tout le paysage ce matin et avec lui un courant d'air glacial.

— Il ne reste plus qu'à attendre, me confirma Eulalia en revenant avec un sourire triomphant aux lèvres.

Depuis que nous avions quitté la maison des Spiliótis dans l'après-midi, la Nymphe était aux anges. La perspective de camper l'enchantait au point d'en rayonner constamment. L'observant silencieusement, je me demandais si la sénilité ne lui avait pas gelé le cerveau...

— Vu l'heure, je pense que nous allons devoir dormir ici, déclara l'espagnole. Je vais devoir user d'un peu de ma magie pour nous protéger des intrus.

Elle se leva et commença à murmurer des paroles dans la langue de la forêt tout en traçant un cercle avec une poudre autour du feu. La limite permettait à deux personnes de se coucher aisément. Quand elle eut rejoint les deux bouts, le trait s'illumina faiblement accompagné d'un ramage de voix étranges. Puis tout s'arrête et la Dryade revint s'asseoir au coin des braises.

Je soupirais, comme j'avais tellement envie de pouvoir emprunter ma forme sylphe. Le froid n'aurait pas autant d'emprise sur moi qu'en ce moment. Mais la règle était la règle, aucun écart ne devait être fait en dehors du Clan. La nuit allait être longue et douloureuse.

Je me réveillai pour la énième fois. Emmitouflé dans mon sac à couchage, je craignais toujours de perdre mes orteils tellement je ne les sentais plus dans cette nuit glaciale. Mon nez me picotait et coulait constamment. L'air sec et piquant me foutait le visage quand il s'engouffrait à grands coups entre les arbres. Parfois farceur, il s'infiltrait dans le tissu de ma couche tel un démon hantant sa proie. Pour la centième fois, je me questionnais sur ma présence au milieu de cette clairière enneigée.

Au clair de lune, la poudreuse nous entourait de son manteau protecteur et me narguait au loin. Étrangement, la neige à l'intérieure du cercle me semblait moins épaisse. Peut-être que la chaleur des braises rougeoyantes du feu la faisait fondre ?

À mes côtés, Eulalia dormait à poings fermés. Son sommeil de plomb était inimaginable, son visage paisible n'était pas rouge de froid. Par moment, elle se dévêtait du haut de son sac à couchage. Je ne pouvais m'empêcher de frissonner juste en la regardant. De quel bois était-elle donc faite ?

La Compagnie de la Rose NoireWhere stories live. Discover now