Partie 1

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Je roulais en direction de la montagne qui donne une vue imprenable sur la ville blanche d'Agadir et sa baie. Je testais ma nouvelle acquisition : une porche Cayenne noire toutes options au nom de la société que je conduisais à toute allure. Je venais tout juste de déserter mes alliés de la nuit. La musique me tapait sur les nerfs et je n'étais plus d'humeur à m'abandonner dans ces tourbillons d'illusions. La vodka n'avait pas su me contenter, je me sentais à l'étroit et j'avais besoin de respirer. Je désirais avec impatience étreindre l'air maritime du haut de la montagne.

J'aime la nuit, particulièrement à cette heure où elle est dans la plus belle de ses parures : profonde, elle brille de tous ses accessoires. Arrivé à destination, je n'étais pas le seul à avoir eu cette idée. De nombreuses voitures étaient alignées. Des individus solitaires enfoncés dans leur siège entamaient leur énième canette de bière. Chaque poste de radio avait sa préférence : de la musique Chaabi (musique populaire) pour les uns, du raï pour les autres et des slows des années 80 pour les amoureux qui n'allaient pas tarder à quitter cet endroit, trop peuplé d'hommes perdus à leur goût. Nous nous sommes égarés en cours de chemin. L'endroit transpirait la mélancolie ! La beauté du site dans cette nuit électrique absorbait les désespoirs. J'étais venu moi aussi lui déverser mon lot de détresse.

Les signes extérieurs pour ma part sont trompeurs si l'on s'attarde sur mon profil :
- Fils d'une des plus grandes fortunes de la région,
- emploi à responsabilité (limitée) dans une des boites de papa,
- Femme de ménage à disposition (et autres),
- Nouvelle voiture à plus de 600000 dirhams,
- Maison familiale en bordure de mer pour les week-ends,
- tensions entre mes sœurs,
- mort de maman d'une longue maladie,
- beau garçon qui commence à avoir les prémices d'une tête de toxico !!!

Non il n'y avait rien à redire, j'avais l'aspect du parfait fils de riche. Je nageais dans des bains de suffisances ! Mais comme tous ces hommes alignés, je m'invitais à eux pour partager mes tristesses avec la boisson. Je sortis de ma boîte à gants de petites bouteilles de whisky que l'on sert dans les avions. Je les enchainai l'une après l'autre pour rattraper la concurrence qui m'avait devancé. Après une heure environ, des signes de changements de relais donnaient l'alerte au ciel : madame lune et ses petites étoiles devaient bientôt passer leur tour. L'air marin n'avait que faire des couleurs du ciel, il travaillait sans relâche à mon bonheur ! Je compensais mes états d'ivresse en accueillant cet iode avec grand enthousiasme.

Soudain, tous les minarets répondirent présents à l'appel de l'aube. On était encerclés par toutes ces voix en écho. L'auto à ma droite coupa le son de sa musique en signe de respect, d'autres, par contre, l'augmentèrent pour ne pas y penser ! L'appel à la prière, en état de défonce, me donnait des sueurs froides. C'était aussi le signal de déguerpir car le soleil n'allait pas tarder à se lever, il fallait maquiller mon état et prendre une bonne douche pour faire semblant toute la journée.

Je démarrai et repris le même parcours en sens inverse. J'appuyai nerveusement sur le champignon. Mon cœur se serra et l'anxiété frappa vigoureusement à ma porte. Des idées noires m'envahissaient. La voiture obéit aux ordres. J'accélérai à tout va. Pourquoi ne pas sauter dans le vide ? Ce serait la chose la plus spectaculaire que j'aurais faite de ma maudite vie. Une fin à la James Dean ! Mon acte rebelle, je vivrais enfin. Allez courage ! Saute ! Et l'affaire serait pliée. Allez vas-y ! Je levais la tête au ciel, un signe bon sang ! Je criais des lames pointues qui me poignardaient ce qu'il me restait de cœur. Même la mort je ne la méritais pas. Je grillai tous les feux pour me consoler de ma trouille. Et puis à une intersection à 50 mètres de l'entrée du port, je percutai une mobylette. L'individu rencontra mon pare-brise pour retomber au sol. Un son mortuaire. Pris de panique, je fis marche arrière, donnai un coup de volant et quittai les lieux.



Fils à papaWhere stories live. Discover now