Partie 4

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J'observais mon blanchiment à vue d'œil, on effaçait pas à pas tous les indices. De l'assassin, je passais pour la victime. Qui contestera ? La famille du cadavre, elle n'est même pas encore au courant de l'accident.

Le défunt travaillait au port. Il provenait d'une catégorie sociale très modeste. La famille en deuil se résignera comme la plupart du prolétariat devant l'autorité. Ils recevront de la part du patron une belle enveloppe discrète. Ils s'occuperont de l'enterrement, et tout sera réglé. L'argent pansera les plaies. En ce qui me concerne, je serai cet être coupable sorti d'affaire par les tentacules du système où la corruption résout toutes les tracasseries. Tant qu'on met de la monnaie dans la machine, elle broie tout sur son passage et nettoie la pire des crasses.

Pour la première fois de ma vie, je rentrai dans un commissariat. L'air était infect. Comment la police pouvait exercer dans ces conditions. Une vraie bicoque ! On se serait cru dans une décharge : de vieux ordinateurs bons pour la casse, des machines à écrire datant de la préhistoire entreposées dans un coin, un paradis pour la poussière. On passa devant une cellule où une trentaine de personnes étaient parquées, de vraies têtes de zombie, un film d'horreur ce commissariat ! L'inspecteur Hassani me devança pendant que ses collègues se moquaient de lui !

─ Tu finis ta carrière avec la prime Madone !

─ Allez-vous faire ... répliqua Hassani.

Il me menotta à une canalisation. Il était clair que je n'avais pas droit au même traitement de faveur que les zombies. Je n'allais pas m'en plaindre. Le futur retraité n'était pas à l'aise dans ses souliers, son regard fuyait dans tous les sens, j'étais une sorte de patate chaude qu'il fallait vite classer.

— Bon, je vais te dire une chose fils de riche, je fais ça à contre-cœur, les ordres viennent d'en haut, mais je t'assure que je ne mange pas de ce pain-là !

­— Je suis prêt à dire au juge que j'étais saoule et que j'ai heurté l'homme qui est mort sur le coup ! Tout est de ma faute mis à part que s'il portait son casque, on n'en serait pas arrivé là ! Un casque, c'est fait pour le mettre sur la tête, pas sur le guidon ! lui répliquai-je.

— Je suis d'accord sur ce point ! Mais tu crois que tout le monde a étudié à la mission française ! On ne peut pas faire d'un âne un cheval de course en claquant des doigts. Il faut de la prévention, la contravention à elle seule n'est pas suffisante.

­­— Donc d'après vos dires, l'état est aussi responsable de la mort du jeune homme.

— Ne m'embrouille pas, ne fais pas le malin !

— En tout cas je suis prêt à assumer !

— Le fils à son papa veut faire le rebelle, il veut tenir tête au système. Tu te prends pour Che Guevara, c'est ça ? Tu es plus rusé que les autres bourgeois à ce que je vois, tes remords te donnent du zèle ! Ou bien tu défies ton père.

Cet homme me poussait dans mes retranchements et me mettait face à mes convictions qui étaient troubles. Je venais tout juste de dessaouler et j'étais toujours en état de choc. Les évènements se suivaient comme les perles d'un collier emmêlé. Je voulais m'affranchir de mon patronyme et j'avais l'occasion d'exister à travers la mort de cet homme. Pour défier mon père ? Oui, mais pas uniquement. J'en avais marre de ce système de corruption qui enlisait le pays.

— Bon assez joué ! Je suis fatigué. Les évènements me dépassent. Tu dois passer la nuit dans une cellule à l'abri de tout soupçon et demain un collègue prend le relais et moi je pars en retraite, basta !

— Comment ?

— Dis-toi que tu as une deuxième chance ! Que Dieu en a décidé autrement. C'est ton mektoub (destin). Il devait mourir. Repars à zéro et si tu es sincère, mets-toi au service des gens. Je ne sais pas, deviens bénévole, avec toute la fortune de ton père tu pourras remonter dans le temps et sauver des vies !

Voilà, encore une fois on décidait à ma place. Toute ma vie on m'avait reproché de ne pas être un homme et pourtant on n'avait fait que m'infantiliser. On m'avait toujours mis le poisson dans la bouche mais jamais appris à le pêcher. Cette situation n'était que stratégie pour que je puisse toujours être à l'ombre du patron. L'émancipation m'était interdite ! Contente-toi de consommer et reste à ta place.

Le lendemain, le procureur a fait passer mon affaire en priorité devant le juge, l'addition pour mon père devait être salée car j'étais en V.I.P. La police a mis tous les moyens nécessaires pour que je ne puisse en aucun cas être vu par la famille du défunt. J'ai su par la suite que moi et la victime avions le même âge, il était papa d'une petite fille de 4 ans. J'étais réellement attristé et je le vivais comme une double peine.



Fils à papaWhere stories live. Discover now