Jour gris

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Le gobelin, je ne le déteste pas. Après tout, il s'occupe bien de moi. Ce serait ingrat de ma part de ne pas reconnaître ses petites attentions, comme ce premier muguet au printemps qu'il dépose dans un vase sur la table de chevet ; ce canari bleu dégoté je ne sais où et qui a longtemps diverti mes journées, jusqu'à ce qu'il meure (de vieillesse ou de solitude, je ne saurais le dire) ; le ménage qui, même s'il se limite aux poussières, doit être apprécié à sa juste valeur.

Ce qui me dérange dans son refrain, c'est l'idée qu'il y ait une vie et une mort. Ces abstractions n'ont, pour moi, aucun sens, car j'en suis presque certaine à présent : je ne suis ni vivante ni morte. Comment définir cet état de sommeil permanent dont on ne peut s'extraire ?

Coma ?

Soit. Je suis donc comateuse.

Depuis quand ? Difficile à estimer. Il faudrait faire venir une équipe de spécialistes de la criminalistique pour mesurer la taille des moutons que l'on doit bien pouvoir trouver dans les recoins de ce maudit château (le gobelin est peut-être bien intentionné, il n'en est pas pour autant une fée du logis).

Mais déjà, avant de faire ça, il faudrait pouvoir le localiser, ce château de malheur. Chose impossible lorsque l'endroit enchanté a été classé dans la catégorie « légendes, » domaine qui, par définition, relève du merveilleux, genre dont la factualité n'est jamais postulée.

À moins que...

... à moins qu'on ne m'ait tout simplement oubliée.


Journal d'une comateuseOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz