Jour rouge

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Il y a quelqu'un dans la pièce. Et c'est un inconnu. Les pas lourds et les râles entendus dans les escaliers m'ont annoncé un homme dans la force (ou plutôt la faiblesse) de l'âge. Depuis qu'il a pénétré mon sanctuaire, il n'a pas bougé.

C'est un peu absurde comme situation, je le reconnais. Moi, là, allongée, dans l'incapacité de l'accueillir proprement, et lui me regardant, bêtement j'imagine, s'interrogeant peut-être sur le protocole à suivre lorsqu'on fait connaissance avec... un corps inerte. Le genou à terre est-il adéquat ? À moins que ce ne soit le baisemain ? (D'ailleurs, comment les gens se saluent-ils de nos jours ?)

Qu'il se rassure : je n'en ai moi non plus pas la moindre idée.

En revanche, je me doute que tirer les draps du lit ne se fait pas. En tout cas, pas préalablement à une introduction en bonne et due forme. J'aimerais bien qu'il me recouvre. Non que j'ai froid. Il s'agit là de ma modestie, et je n'ai pas consenti à sa profanation.

Comment le pourrais-je, dans mon état ?

Je me sens très limitée dans mes choix tactiques de défense. Je note aussi que mes options en matière de riposte sont bien plus déplorables. Seule issue à ma portée : l'inaction.

Il a vite compris son avantage, à la hauteur de mon impuissance.

Le silence et l'incertitude m'angoissent. Que fait-il ? Qu'attend-il ? Va-t-il se contenter d'observer ? J'en serais infiniment soulagée. Mais ce serait mal jauger les hommes en armure (si j'en crois les bruits de ferraille broyée qui accompagnent chacun de ses mouvements) chez lesquels on prend grand soin d'exalter les qualités de stratège que l'on peut résumer ainsi : dans un premier temps, repérer la faille. Dans un deuxième temps, s'y engouffrer.

Je n'ai pas consenti à l'exhibition de ma personne ; je tolère encore moins l'approche tactile adoptée par l'envahisseur qui tâtonne ma poitrine, comme pour se l'approprier. Sous mes paupières, je roule des yeux. Enfin, mon cerveau (qui est le seul muscle chez moi encore en état de marche) ordonne l'action, mais rien de bouge dans mes orbites.

Je m'en veux de cette déception qui étreint soudain mon cœur. Comment ai-je pu y croire un seul instant ? Quelle sotte je suis de penser que l'on puisse préférer aux gratifications palpées une vénération courtoise !

Je pleure intérieurement tandis que l'indélicat se fait agresseur.

En ce jour honni, de sauveur, point.




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⏰ Last updated: Nov 10, 2019 ⏰

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Journal d'une comateuseWhere stories live. Discover now