Chapitre 2

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Un an et six mois plus tard...

Octobre 2018


Je baissai les yeux sur mon téléphone, où j'avais noté l'adresse du centre médico-psychologique. Je marchais d'un pas rapide sans regarder devant moi. Je n'étais pas en retard, mais je sentais une angoisse. Dans ce village de campagne, si loin de chez moi, de la ville, des voitures, il m'avait fallu des mois pour obtenir un rendez-vous. Et en réalité, je ne le devais qu'à ma voisine. C'était elle, la première à avoir vraiment voulu m'aider. 

En arrivant enfin, je m'arrête quelques instants devant le centre, en songeant que d'autres patients auraient sûrement préféré y entrer le plus vite possible, aussi discrètement que la fréquentation de la rue le leur permettait. Ce n'était pas très glorieux d'aller voir un psychologue, encore moins un psychiatre — du moins était-ce, je le supposais, l'avis de la majorité. Je n'étais pas très à l'aise, sans pour autant me sentir honteuse : j'avais appris, au cours de ma vie, qu'il n'y a pas de honte à être la victime. Cela avait été un combat long et difficile ; un combat contre beaucoup d'hommes et de femmes qui préféraient pointer du doigt le plus faible, ou du moins celui qui en avait l'air. Mais je n'étais pas faible. Et je croyais désormais qu'il fallait être fort pour oser avancer, guérir, et se battre à nouveau. C'était bien ce que je voulais en me présentant devant cette porte : retrouver les forces nécessaires pour me battre.

J'entrai avec précaution, silencieusement. J'apercevais déjà la salle d'attente, remplie. Grâce à l'intervention de ma voisine, la psychologue avait accepté de me recevoir rapidement entre deux autres patients, pour me rencontrer, et juger si elle pouvait m'aider ou s'il valait mieux me confier à l'un de ses confrères. De loin, je vis des visages tristes et angoissés. Leurs émotions s'échappèrent comme une vague pour venir me frapper : je n'aimais pas cet endroit. Je ne voulais pas être entourée de souffrances et de peines. J'avais besoin de joie, de détermination. D'espoir. J'ignorais si je pouvais en trouver ici.

Face à l'accueil, je me raclai silencieusement la gorge, jusqu'à me faire remarquer de la secrétaire. J'aurais voulu que ma voix soit plus assurée, plus ferme ; mais je découvrais tout à coup à quel point les derniers mois m'avaient minée, rongée, écrasée, à un tel point que je n'étais plus qu'une ombre tremblante, un écho instable :

— Bonjour. J'ai rendez-vous avec Mme Simon. 

— Oui, votre nom ? 

— Gruel... Charlotte. 

— Oui, bien sûr. Installez-vous en salle d'attente.

Je n'avais aucune envie d'y aller. Je ressentais déjà les ondes de désespoir qui en émergeaient. Lentement, je m'acheminai vers une chaise vide, à l'entrée. Un peu d'air passait par la porte, et me donnait l'impression qu'il était encore respirable. J'éprouvais de la compassion pour les autres, bien sûr. Ceux qui étaient à côté de moi. Et je ne pouvais m'empêcher de me demander pourquoi ils étaient là. Cette adolescente, par exemple, avait-elle connu des problèmes dans son lycée, comme moi ? Cette dame âgée, qui tremblait et avait la respiration saccadée, avait-elle perdu un proche ? Et qu'en était-il de cet homme si droit, si solide, qui semblait n'avoir aucune faille ?

Quelqu'un entra dans le centre, se présenta à l'accueil. Le pauvre semblait désespéré, il demandait un rendez-vous avec l'un des médecins, mais on lui répondit qu'il ne pourrait recevoir personne avant trois mois. Je m'enfonçai dans ma chaise, gênée. J'avais l'impression qu'il y avait un million de personnes qui avaient besoin d'aide plus que moi... et d'avoir volé la place de quelqu'un qui la méritait davantage. Je n'étais là que grâce à l'intermédiaire de connaissances ; j'aurais dû attendre des mois, comme tout le monde, pour obtenir ce rendez-vous ; et voilà que j'étais sur cette chaise, dans la salle d'attente, alors que l'homme repartait.

Stylo RougeWhere stories live. Discover now