-35- tris

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JEM
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Je quitte la propriété de mes parents aussi vite que me le permettent les graviers rouges qui font glisser mes pneus et remonte à toute allure la petite route sinueuse qui mène au centre de Clearwater. Là, je m'engage sur l'autoroute et accélère encore, poussant mon moteur à fond. La ville devient un mur gris et indistinct à la périphérie de ma vision mais je ne ralentis pas pour autant. Je me place tout à gauche de la voie de circulation et double sans même en avoir conscience une dizaine d'automobilistes surpris par mon arrivée. À tout moment l'un d'eux pourrait faire une embardée pour éviter un obstacle et, à la vitesse à laquelle j'arrive, je n'aurais pas le temps de l'éviter mais je m'en fous. J'ai besoin d'évacuer toute cette rage qui m'habite et l'adrénaline que me procure ce pied de nez à la mort remplace peu à peu ma colère.

Je ne sais combien de temps je reste ainsi, crispé sur l'accélérateur, mais mes muscles tendus commencent à protester. Je ralentis peu à peu l'allure et finis par me résoudre à faire demi-tour. Je remonte l'autoroute en sens inverse et m'engage sur la sortie qui mène au campus de Tampa. Cet après-midi qui aurait dû me permettre de décompresser ne m'a pas du tout aidé à me reposer. Au contraire, je suis plus tendu que jamais et ma petite infraction à la loi ne m'a pas beaucoup aidé. J'ai besoin de me changer les idées, de me défouler...

Je regagne l'appartement de Jake et pousse la porte, espérant sincèrement qu'il m'attendra sur le canapé, une manette à la main, prêt à disputer une énième partie de jeux vidéos avec moi mais force est de constater, lorsque j'arrive dans le salon, que celui-ci est vide et qu'il n'y a nulle trace de quiconque dans l'appartement.

Je grogne en donnant un coup de poing dans un coussin.

Je sais que la seule chose qui me permettrait d'évacuer toute cette tension serait de frapper quelqu'un mais cela ne ferait qu'accentuer mes ennuis. Je songe un instant à me rendre au Recreation Center pour donner quelques coups dans un sac de sable et peut-être même m'ouvrir une ou deux phalanges, mais à cette heure-ci la salle est sur le point de fermer et, même pour moi, les employés ne feront pas d'exception. Je me résigne donc à devoir me calmer seul et me dirige vers la cuisine, ouvrant un placard pour me servir un verre. Malheureusement pour moi, ne reste rien d'autre que deux pauvres bouteilles quasi-vides derrière le panneau de bois et cela donne le coup de grâce à ma mauvaise humeur.

— Putain ! m'emporté-je en refermant violemment la porte du meuble qui n'avait pourtant rien demandé.

Je reviens sur mes pas en martelant lourdement le sol, la tête rentrée dans les épaules et les mains profondément enfoncées dans les poches. Je considère un instant la pièce vide avant de rageusement m'emparer de mon blouson et de claquer la porte d'entrée derrière moi en soufflant de rage.

J'appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur avant de réaliser que je n'aurai très certainement pas la patience d'attendre aussi longtemps que l'appareil atteigne mon étage alors je change d'avis et m'engage dans les escaliers.

Je dévale les étages les uns après les autres, sautant trois ou quatre marches entre chaque palier avant d'émerger, aussi sombre qu'un orage d'été qui menace d'exploser à tout moment, dans la rue paisible. J'enfonce mes mains dans mes poches et arpente la rue à la recherche d'un bar ouvert. J'ai la désagréable impression que quelqu'un m'observe mais, pour une fois, je ne m'en soucie pas. De toute façon, qu'est-ce qu'un journaliste pourrait bien avoir à dire sur moi ? Que je marche seul dans la rue ? Quel scoop !

Il ne me faut pas longtemps pour trouver ce que je cherche. Au coin d'une rue un peu plus fréquentée que les autres, une enseigne lumineuse grésille dans la pénombre et invite le peuple encore innocent à venir s'enivrer. Je pousse la porte vitrée du petit pub pour pénétrer dans la salle mal éclairée et suis tout de suite assailli par une vague de chaleur moite. La porte ne se referme pas immédiatement derrière moi et le contraste entre l'air frais de l'extérieur et cette pièce bondée et surchauffée m'arrache un frisson. Quelqu'un me frôle l'épaule et je m'écarte pour le laisser entrer mais lorsque je me retourne, il n'y a personne.
Je fronce les sourcils.

As Yet Untitled [ᴇɴ ᴄᴏʀʀᴇᴄᴛɪᴏɴ]Onde histórias criam vida. Descubra agora