Chapitre 1

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Bonjour comme chaque mardi, on se retrouve pour un nouveau chapitre de Vagabonde Bourgeoisie ;) Je vous donnerai la date très prochaine (c'est en janvier ;) )
N'hésitez pas à donner votre avis sur cette nouvelle version !


Chapitre 1

Abigaël

            Les lumières illuminant la scène s'éteignirent dans un tonnerre d'applaudissements, pour ma part, je frappai mollement mes mains entre elles. Le rallye dansant d'octobre avait pour coutume de commencer sur une note de magie, il n'y avait pourtant rien de plus ennuyeux. La salle fut complètement éclairée quelques secondes plus tard. Le magicien avait disparu et, assise à ma table, j'observais la valse des serveurs se croisant, s'effleurant, aucune assiette ne trembla, aucun verre ne se brisa. L'un d'eux me servit du vin malgré mon jeune âge, tandis qu'un autre déposait un chausson à la viande dans mon assiette. Je n'avais pas faim et l'odeur de la viande chaude m'écœura. Je jetai un regard sur les autres invités, tous sans exception dégustaient leur entrée.

            Je ne pouvais pas m'empêcher de penser aux autres dehors, la faim au ventre, alors qu'ici nous étions nourris plus que nécessaire. Papa les nommait toujours ainsi, car ils étaient différents de nous. Le nom autre les désignait comme des êtres inférieurs. Leurs grands‑parents n'avaient pas souhaité grimper l'échelle sociale au début du IXᵉ siècle, parce qu'ils avaient préféré travailler les terres, laissant de côté la civilisation moderne, vivant à l'écart du monde, pour eux la vie n'avait plus le même goût authentique en ville. Mais le monde bourgeois s'était installé sur leurs terres, les obligeant à vivre selon nos habitudes. Les riches étaient devenus encore plus riches, trompant les plus crédules, leur promettant mille et une aides. Ils avaient fini par devenir avares ‑ opportunistes m'aurait corrigé papa ‑ et les pauvres avaient doucement commencé à péricliter. On m'avait compté cela plus jeune, les aristocrates vivaient toujours dans cette utopie de nos jours. Les autres étaient bien plus nombreux aujourd'hui qu'à l'époque où mon grand‑père n'était encore qu'un nourrisson. Mais personne ne s'était opposé à ce cruel mode de fonctionnement. Les autres, déjà affaiblis, travaillaient désormais des heures durant pour compenser la maigre pension du gouvernement. Ils avaient eu ce qu'ils méritaient, m'assurait mon père, les plus courageux avaient réussi, tandis que les fainéants récoltaient uniquement ce qu'ils avaient semé. L'aristocratie s'était enrichie sur la cupidité des autres, infligeant à leurs héritiers la faim et la maladie en guise de punition. Aujourd'hui, à l'aube d'un monde scié en deux, le constat était amer. Les aristocrates avaient bercé les politiciens dans de doux mensonges et le reste de la population vivait la cruelle vérité chaque jour, se demandant si demain serait meilleur.

— Tu n'as pas faim, Abigaël ? m'interrogea mon père coupant ainsi le fil de mes pensées, j'espère que tu n'es pas en train d'échafauder un plan stupide pour t'enfuir.

            Une intonation moqueuse perçait dans sa voix, mais je savais qu'il ne plaisantait pas. Je détestais assister à ces réceptions où tout avait un goût de surfait. Mon père, Graham Bradford, était l'unique héritier de la famille Bradford. Son grand père, Kurt Bradford, avait épousé une comtesse, Ernestine Hodge, depuis, notre famille jouissait d'un mariage bourgeois, que j'imaginais sans amour. Mes parents ne s'étaient eux‑mêmes pas rencontrés au détour d'une rue. Ils avaient bêtement obéi aux règles, avaient dansé deux ou trois fois ensemble avant de se marier. Le monde de l'extérieur était devenu si morose que les riches préféraient ne plus le fréquenter. C'est ainsi que chaque mois, les plus grandes familles de la ville organisaient un rallye dansant. Une fête privée où chacun exposait sa fortune aux yeux de tous. Les jeunes filles y étaient invitées dans le seul but de rencontrer l'homme qui étoffera encore plus sa famille. Papa m'y avait inscrite de force, je ne pouvais m'imaginer rencontrer l'amour dans un monde aussi hypocrite.

— Pourquoi ne prends‑tu pas exemple sur ta sœur ?

            Amanda était l'aînée de la famille. Jolie, intelligente et élégante, elle avait tout pour réussir, et nombreux étaient les jeunes hommes à lui faire la cour. Pourtant, malgré tous ces prétendants, ma sœur ne semblait pas résolue à épouser quiconque. Depuis ma plus tendre enfance, j'avais toujours admiré ma sœur, elle incarnait la femme indépendante, forte et fière qui ne se laissait pas impressionner par quelques tours. Hélas, à chaque fois que je la voyais en trop bonne compagnie, je ne pouvais m'empêcher de me dire qu'elle allait finir exactement comme nos parents. Maman affirmait que j'étais la plus rebelle, parce que j'étais la dernière, que j'étais lésée par rapport à mes frères et sœurs. C'était une idée ridicule, puisque Colin, l'avant dernier, était pourri gâté, briseur de cœur fragile et naïf. Mon autre frère, Alister, était terriblement timide, n'était pas avenant, ne dégageait aucune confiance et aucune fille ne s'était intéressée à lui. Mes parents s'étaient donc naturellement tournés vers ma sœur et moi pour garantir un avenir certain à notre famille.

            Dans ma réflexion, je n'avais pas remarqué le départ de mon père qui venait de rejoindre ma mère pour l'inviter à danser. Bien que leur mariage soit arrangé, il y avait une complicité adorable et beaucoup d'attachement entre eux. Les autres couples suivirent au centre de la salle. Colin accompagnait Loyse Brett, une fille trop stupide pour deviner qu'elle allait se faire avoir. Alister avait eu le courage d'inviter Rose‑Aimée Brown, elle incarnait l'innocence sur terre, ses longs cheveux blonds tressés sur le haut de la tête lui donnaient un air angélique. Ma sœur avait passé son bras sous celui de Théodore Cox, chirurgien de renom qui avait apporté à sa famille une richesse et un confort inestimables. Évidemment, il y avait autant d'hommes que de femmes et c'est sans surprise que Simon Ryan vint me proposer une danse. L'opulence de la nourriture n'aidait pas sa ligne, les boutons de sa chemise menaçaient de me sauter à la figure à tout moment. En pleine puberté, son visage était constamment rouge et des boutons infectaient ses joues. N'est‑il pas assez riche pour se payer un soin intensif, pensais‑je.

            Poliment et comme on me l'avait appris, j'avais refusé d'un revers de main, mais il se fit de plus en plus insistant.

— Va‑t'en Simon, cherche donc quelqu'un à ton niveau, si bas soit‑il.

Il arqua un sourcil et siffla :

— Tu penses réellement que quelqu'un puisse être au niveau d'une garce comme toi ?

Menteur ! Je n'étais pas une garce, je l'avais juste remis correctement à sa place.

— La garce ne veut pas danser dans ce cas, répondis‑je avec dédain.

Je sentis son regard noir de colère sur moi alors que je m'apprêtais à me lever.

— Cela ne m'étonnerait pas que tu aies été adoptée juste pour ton beau sourire. Au fond, tu es une vraie pouilleuse, tu devrais vivre avec les autres, là‑haut tu trouverais peut‑être quelqu'un à ton niveau... si bas soit‑il, conclut‑il en portant son verre de bordeaux à ses lèvres.

J'avais promis à papa de ne pas faire de scène, mais c'en était trop, je donnais un léger coup dans le pied du verre et le liquide rougeâtre tacha sa magnifique chemise trop petite. Je sortis de la salle de réception, mes talons aiguilles claquant douloureusement sur le sol, aussi douloureusement que la gifle que je venais de lui administrer sur sa joue grasse

*

Vagabonde Bourgeoisie - Edité aux éditions Gloriana EditionsHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin