Chapitre I

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Certains sont persuadés de savoir d'où ils viennent. D'autres ne le savent pas et ne veulent pas le savoir.

Je crois que je fais partie de cette seconde catégorie; pendant 12 ans passés à l'orphelinat Baudelaire de Chicago, je gardais espoir en un avenir meilleur. Aujourd'hui, je ne voyais plus que la pluie qui s'abattait sur l'unique fenêtre du dortoir, les surs affolées qui couraient après des enfants sautant dans les flaques d'eau, et les lits en fer, grinçants à souhait, qui rendaient l'endroit encore plus lugubre qu'il ne l'était déjà.

-Eva! Où étais-tu? Nous te cherchons depuis plus d'une heure!

La sur Bernadette. Toujours aussi sérieuse, des rides aux coins des yeux, les lèvres pincées, marchant sur sa robe de religieuse trop grande pour elle. Elle était adossée aux chambranle de la porte et paraissait plutôt sur les nerfs.

-Tu comptes peut-être rester là sans bouger et sans ouvrir la bouche pendant que je parle? me lança-t-elle avec un regard qu'elle aurait voulu «à glacer le sang», mais qui, malheureusement pour elle, ressemblait plus au regard d'un ours trempé en colère contre la pluie. Je pris alors mon expression la plus mielleuse et lui lançait un de ses regards dont j'avais le secret.

-Sauf votre respect ma sur, si vous comptez me ressortir votre éternel et ennuyeux monologue de réprimande, en commentant l'importance de suivre vos cours et en me rappelant «tout» ce que je vous dois, ce ne sera pas nécessaire étant donné que que je le connais surement par cur.

La sur ouvrit la bouche d'un air offusqué, puis se retourna, et, levant hautainement le menton, partie, sans manquer de trébucher sur sa robe et de me lancer un regard excédée de vieille femme blessée dans ses principes du XX siècle.

Je levais les yeux au ciel, un léger sourire aux lèvres; ce n'était pas la première fois que j'arrivais à la faire sortir de ses gongs, et cela me procurait toujours le même plaisir.

Je finis par me décider à sortir un livre de sous mon matelas. Malgré tous les ouvrages disponibles à la bibliothèque, celui-ci restait mon préféré, guidant les froides soirées d'hivers et les veillés des plus petits.

Ouvrant le livre, je m'enfonçais dans mon coussin et commençais mon énième lecture de «L'île au trésor» par Louis Stevenson. Je m'imaginais alors voguer sur les flots, combattre tout un équipage de pirates assoiffés de sang, me balader sur une île déserte pleine de surprise. En un mot: la liberté.

Je voudrais être libre de pouvoir m'en aller, de m'enfuir loin de cette cage dans laquelle on m'avait enfermée lorsque j'avais cinq ans, à la mort de mes parents. Je n'avais presque aucun souvenir d'eux; un léger parfum d'eau salée, un semblant de sourire, leurs voix, surtout, étaient restés gravées dans ma mémoire. Celle de mon père était grave et un peu dure, alors que celle de ma mère était très douce, et étonnamment mélodieuse.

Le soir de leur mort, alors que nous nous baladions au bord de ce qui semblait être l'océan, mon père m'avait donné un étrange collier; le médaillon se constituait d'une fiole de verre soufflé, entourée de fil d'or et remplie de sable bleu. Une sorte de dragon d'eau enroulée sur lui-même avec un minuscule rubis en guise d'il était gravé sur le dessus, comme le blason d'une société qui n'aurait jamais existé. Je pensais que c'était un héritage, une sorte de trésor familial, ce qui aurait expliqué sa valeur. Je ne sais pas vraiment d'où je venais ce besoin de toujours trouver une explication à tout; pourtant je n'avais jamais compris ce que c'était, et pourquoi mon père m'était donné, alors même qu'il allait mourir assassiné quelques heures plus tard. Je l 'avais toujours porté, comme un symbole de mon passé,afin de me souvenir que moi aussi, j'eus un jour une famille.

Les cloches sonnèrent, annonçant le dîner. Passant outre, je continue de lire mais un gargouillement sonore me rappela le mécontentement de mon estomac. Excédée, je fermais mon livre, et me glissais hors du dortoir. J'arrivai au réfectoire lorsqu'une Eloïse décoiffée se rua vers moi. J'eu tout juste le temps de m'écarter avant qu'elle ne me rentre dedans.

Les Enfants Perdus d'ItlitKde žijí příběhy. Začni objevovat