Prologue

44 3 0
                                    

Claire passa une main dans ses cheveux et grimaça en constatant qu'ils étaient emmêlés et garnis de feuilles craquantes à cause de sa longue station sous les branches du laurier-sauce. Elle se dissimulait en effet depuis un bon moment à cet endroit stratégique et discret du parc et se releva avec précaution pour mieux observer les cinq adolescents, juchés sur la terrasse rudimentaire d'une cabane bâtie sur un vieux chêne, en contrebas. Elle les espionnait avec obstination, comme chaque fois qu'Alex était là. En cet instant, sa bouche avait un pli un peu amer tandis qu'elle les écoutait discuter, assis en rond sur la plate-forme de la cabane. L'odeur du laurier lui emplissait les narines mais elle ne s'en souciait pas, captivée par ses deux sœurs, son frère et leurs amis Côme et Alex. Tous parlaient avec animation, ignorant sa présence.

– Mona, tu peux m'aider à monter sur la branche ? Ce n'est pas très facile avec cette stupide robe que maman veut absolument qu'on porte !

– Diane, maman est comme ça, tu sais très bien qu'elle ne changera pas d'avis. Elle veut que nous portions des robes parce que c'est plus joli ma chérie.

Sa sœur aînée, Mona, qui devait avoir une douzaine d'année, termina sa phrase dans une horrible grimace, en singeant leur mère. Claire plissa le nez parce qu'elle était aussi agacée que sa sœur des vêtements ridicules que sa mère leur imposaient à tous. D'ailleurs, ce jour-là, Mona était vêtue, comme Diane, d'une robe bleue marine à col blanc serrée à la taille par une large ceinture blanche.

– Ces robes sont ridicules, en plus. Personne ne s'habille plus de cette manière... On se moque de moi à l'école ! Même à St Jean-Baptiste, nous portons les robes les plus démodées !

Mona soupira :

– Et imagine ce que j'endure, moi, au collège. Tout le monde rit de moi. Heureusement que vous êtes là, Côme, Alex, sinon je n'aurais pas un seul ami.

Alex répondit, apaisant :

– Mona, nous, on sait qu'on peut bien s'amuser avec toi... Les robes, on s'en fiche... C'est juste que ce n'est pas pratique pour jouer dans le parc et monter dans les arbres.

Diane lança :

– Mona à raison. Moi je préférerais m'habiller normalement. Jedi a de la chance, c'est un garçon alors les pantalons bleus marines passent plus inaperçus...

Jean – surnommé Jedi – était leur frère aîné. Claire se pencha un peu plus de peur d'être vue par l'un des membres du petit groupe tandis que sa sœur ajoutait d'une voix morose :

– Et puis, l'avantage d'être un garçon, c'est aussi que maman ne parle pas de ton futur mari !

– Maman t'a parlé de ça, Mona ?

La stupeur dans la voix de Jean était presque comique.

– Pas à moi, Jedi, mais je l'ai entendu parler à Hélène de la Combe, tu sais, son amie qui est toujours couverte de bijoux !

– Et qu'est-ce qu'elle disait ?

C'était Alex qui posait la question. Il semblait choqué.

Mona s'esclaffa mais Claire trouva que son rire sonnait faux.

– Qu'elle veillerait à ce que nous fassions, toutes les trois, des mariages prestigieux. Hors de question que nous épousions n'importe qui.

– N'importe qui ?

– N'importe qui, ça veut dire quelqu'un qui n'est ni riche ni noble, Alex. Un pauvre plébeien... Tu comprends, nous sommes des de Milian, une famille qui a fait la France !

Le ton pompeux de Mona fit rire ses quatre auditeurs. Jean, leur frère qui avait quatorze ans eut un rire et s'écria :

– De toute façon, il va bien falloir qu'elle vous laisse choisir vos époux quand vous serez grandes et moi mes vêtements quand j'irai au lycée sinon j'achèterai vraiment ce qui me plaît et...

– Et ?

C'est Côme, leur ami, qui avait posé la question.

– Je m'imagine avec un jean bien troué, bien usé... Avec quelques taches de peinture et un tee-shirt à tête de mort...

Les quatre autres pouffèrent de rire et Diane ajouta :

– J'aimerais bien voir ça, Jedi. Si tu le faisais vraiment, on serait tranquille Mona et moi, on pourrait s'habiller comme on voudrait...

– Et Claire ? Elle est aussi obligée de porter des robes ?

C'est Côme qui avait posé la question.

– Claire ? Bien sûr... Mais je crois qu'elle fait exprès de les abimer pour que maman la laisse mettre des pantalons quand elle joue dans le parc répondit Mona. C'est une vraie tête de mule !

– Et là ? Elle est où ? demanda Alex.

– Aucune idée. On lui a dit qu'elle était trop petite pour venir avec nous alors elle est allée jouer à la balançoire, de l'autre côté du parc. Elle n'a que sept ans et nous, on n'est pas des baby-sitters

En entendant ces mots, Claire fronça les sourcils et sa bouche se mit à trembler mais elle serra les lèvres et ses yeux lancèrent des éclairs.

– Pendant que tu es encore là, ajouta Jean, il faut qu'on en profite, Alex ! Quand je pense que tu pars à Eton pour un an à la fin de l'été ! Tu n'es pas inquiet ?

– Un peu. Mais ça va être une aventure passionnante. J'ai aussi hâte d'aller là-bas !

– Il fait beau aujourd'hui... reprit Alex, enthousiaste, si on allait au bord de l'eau ? On pourrait tremper nos pieds et monter sur le grand chêne ?

– Bonne idée Alex. Le dernier en bas est une poule mouillée.

Le petit groupe dévala l'échelle incrustée dans le tronc et, en riant, les cinq amis s'élancèrent dans le parc en direction du bassin.

Claire termina de sortir du buisson qui la dissimulait aux regards et les suivit des yeux avec envie tandis qu'ils bondissaient sur les vastes pelouses. Lorsqu'ils eurent disparu, elle se dirigea avec un soupir vers l'immense demeure qu'elle contourna pour entrer dans la cuisine par une porte fenêtre.

– Alors ma chérie ? Ils sont où, les brigands ?

La cuisinière, Léonie Delplace, coiffée d'un chignon et dont la robe bleue était recouverte d'un large tablier à carreaux l'accueillit en souriant.

– Au bassin, Mme Delplace.

– Très bien. Tu veux goûter avec eux ?

La petite grimaça puis articula :

– Non. Ils disent que je suis trop petite. Même Alex...

– Même Alex ? Tu es sûre ? Pourtant il est gentil ce garçon... Tu veux que je leur demande ?

– Non.

La réponse avait été catégorique.

– Non. Je veux... Je voudrais que ce soit lui qui me demande.

La voix de Claire s'était un peu éraillée sur ces derniers mots mais Mme Delplace ne sembla pas s'en apercevoir.

– Ah, bon. Dans ce cas je vais envoyer Éric leur apporter le goûter. Tu veux que je te donne un morceau de gâteau aux pommes ?

– Oui Mme Delplace. Je veux bien, merci.

Elle pénétra enfin dans la cuisine. Le soleil était encore haut dans le ciel et la lumière orangée jouait sur les carreaux de ciment rouge et bleus qui recouvraient le sol. Claire, le visage toujours renfrogné, s'attabla et commença à dévorer le morceau de gâteau doré que la cuisinière avait posé dans son assiette.

La fille du SelectWhere stories live. Discover now