Chapitre 1

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Eli

« Look me in the eyes, I want it
One give you hell, one give you heaven »
The Pretty Reckless - Hit Me Like A Man

  – La prochaine fois que tu poses tes sales pattes sur moi, tu pourras dire adieu à toute possibilité de procréer. Espèce de pervers.

Mon ton tonitruant résonne dans tout le pub tandis que la lourde porte se referme sur le sale type maigrichon me faisant face. Un frisson parcourt l'intégralité de mon corps alors que ma main agrippe encore la poignée.
Pourtant dos aux clients, je sens leurs regards inquisiteur rivés sur moi. Je reprends mon souffle, tentant tant bien que mal de calmer la colère bouillonnant en moi depuis l'instant ou cet immonde barbu avait mis un pied ici, me reluquant sans vergogne et me susurrant des atrocités à l'oreille.
J'ai tout le mal du monde à ne pas rouvrir cette satanée porte pour flanquer la raclée de sa vie à monsieur-mains-baladeuses, sans doute toujours planté comme un abruti devant l'enseigne du McBear coffee.
Dans cette tenue, j'ai l'impression d'être une satanée serveuse de chez Hooters. Au moins, elles, elles ont droit à de plus gros pourboires que dans cet endroit miteux !
Il me faut concentrer toute mes forces et faire appel à tout mon sang froid pour enfin faire volte-face en direction de la clientèle. J'ai envie de leur hurler de se mêler de leurs affaires. Ou bien de leur faire remarquer – de manière peu cordiale à ceux qui semblent abasourdis par mon comportement – qu'aucun d'entre eux n'a daigné me délivrer des griffes de ce lourdaud.
Après tout, je n'ai besoin de personne pour mettre un sale type dehors. C'est ce que je me répète en boucle en rejoignant le bar. Mon sourire revient enfin en entendant le rire étouffé du grand métis derrière, occupé à confectionner un cocktail rosâtre.

– Monsieur-mains-baladeuses est de retour, chérie ?

Will est mon meilleur ami. Il est aussi mon collègue de travail et colocataire. Ainsi, j'ai bien du mal à rester de marbre face à son incapacité à faire cesser son fou rire.
Je l'observe secouer son shaker au rythme de ses éclats de rire, contenant tant bien que mal un petit gloussement.
Avec ses grandes dents blanches, son sourire charmeur et sa peau parfaitement nette, Will a toujours été incroyablement séduisant. Je ne saurais dire combien de numéro il a raflé en bossant ici. Dommage pour la gente féminine, il est gay.

– Il faut filtrer les entrées, ce type revient chaque soir.

– Parle-en au patron, chérie.

Cette fois, je ne peux retenir un franc éclat de rire. J'ai, depuis le premier jour, en horreur cet idiot chauve et bedonnant. Ce type occupe ses journées à se descendre des bières avec de vieux clients tout en reprochant au personnel de faire un boulot merdique. Ses remarques misogynes, racistes et homophobes me font continuellement voir rouge, si bien que chaque soir, avant de me coucher, je me félicite de ne pas encore avoir eu le cran d'enfoncer des fourchettes dans ses gros yeux globuleux et vitreux.
Pour être honnête, je ne me rappelle pas de la dernière fois que je l'ai vu réellement sobre. Et au fil des jours passés à travailler dans ce taudis, j'ai peu à peu compris pourquoi il ne parvenait pas à garder son personnel. Mais il a aussi été le seul patron à avoir accepté de nous recruter, Will et moi, en parallèle de la fac.
L'université, cette période me semble si lointaine. Les soirées étudiantes, les études... Au fond de moi, j'ai toujours pensé qu'aller faire mes études à Seattle me permettrait d'obtenir un avenir prometteur, j'ai toujours pensé que cette ville regorgeait d'opportunités en tout genre. Après une Licence en littérature française et un Master dans l'édition, je m'étais promis de parvenir à trouver ma place au sein de l'une des ME du territoire – en plus de publier l'un de mes ouvrages.
Comme toute étudiante en littérature française qui se respecte, j'ai toujours été fascinée par les romans à l'eau de rose. Par le fait de tomber irrémédiablement et incontestablement sous le charme d'une quelconque personne. Je n'ai jamais apprécié le fait d'appartenir corps et âmes à quiconque, de tout laisser tomber pour un sombre inconnu rencontré au retour d'une ruelle. Mais j'ai toujours été fascinée par la candeur de ces femmes persuadées qu'elles seraient en mesure de sauver cet éternel type incompris des flammes de l'enfer. Haïssant au plus haut point ces stupides clichés faisant du protagoniste une Jouvencelle en détresse à la recherche du parfait héros, je me suis mise – de nombreuses années en arrière – à écrire sur l'un des sujets que je maitrise le moins : l'amour.
Mes pensées vagabondent vers des contrées lointaines ; mes vieux écrits, cette utopique existence de rêve à Seattle, loin du chaos de mon ancienne vie à Miami, puis mon attention se concentre soudainement sur le triste spectacle s'offrant à moi ; des murs défraichis, des néons aveuglants, des types saouls étendus sur leur table.
Foutue naïveté !

HornsWhere stories live. Discover now