Chapitre 21

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Alexander

« Before I come undone
Save me from the nothing I've become »
Evanescence - Bring Me To Life

Au fond, me tirer de chez la princesse des glaces m'a fait mal au cœur. Elle m'a accueilli, et puis, elle semblait vraiment se faire du mouron pour moi quand je me suis mis en tête de repartir après ces quelques verres. Le goût du bourbon demeure dans ma gorge. Je n'aurais pas dû m'enfiler ces verres, c'était mal et je le savais pertinemment. Tout aurait pu déraper. Cette nuit-là, j'ai tellement bu que j'ai bien failli me retrouver dans un état de semi-confiance avec Elizabeth. Il ne faut pas, car si cela arrivait, je finirais par tout envoyer valser, je finirais par la briser.
Assis sur le vieux bois craquelant de ce ponton, mon regard se perd au beau milieu de la nature verdoyante s'étalant tout autour de moi. J'avais oublié à quel point cet endroit était beau. En fait, chaque fois que j'y ai mis les pieds, il ne s'offrait à moi que morosité et taciturnité. Le ciel avait beau se trouver d'un bleu étincelant au-dessus de ma tête, il me semblait d'un perpétuel grisâtre à chacune de mes escapades à Green Lake. Aujourd'hui, le soleil brille, et je parviens même à entendre ces foutus piafs roucouler au-dessus de ma tête. Qu'est-ce qui a changé ? Le vent semble avoir tourné, il règne en ce lieu une atmosphère bien plus respirable que d'habitude. Un agréable parfum fruité me monte aux narines. Il me rappelle la senteur sur la robe d'Elizabeth avant que je ne la mette à laver. Le tissu n'avait étrangement pas l'odeur de dégueulis, il s'en échappait une douce odeur de fruit rouge, une senteur que j'ai rapidement su reconnaître comme étant de la cerise. C'était agréable.
Je passe ma main sur mon pec, putain, notre mère aurait mieux fait de filer à Félix des cours de couture. Savoir taquiner un piano et une guitare ne recoud pas les plaies. Ma cicatrice me fait encore un mal de chien. Sûrement le contrecoup du manque de douleur lié à l'alcool. Du bout des doigts, je continue d'appuyer sur la plaie, comme pour me rendre la douleur que je mérite pour avoir transgressé de la sorte un bon nombre de mes règles. Mais j'ai beau appuyer sur la cicatrice, la douce senteur fruitée semble refréner la douleur saisissant mon corps. Comme s'il devenait presque insensible à cet élancement, comme s'il ne daignait porter son attention que sur l'émanation dans mon dos. Ma main se crispe et un doux chantonnement raisonne dans ma tête. Mais avant que je n'aie le temps de capturer les paroles de cette liquoreuse musique, j'aperçois à ma droite un petit être prendre place.
Son regard semble embrasser le vide face à elle, elle ne daigne même pas me regarder. Du bout des doigts, elle tapote sur le bois du ponton, je croirais presque reconnaître le rythme de Girls of Summer. Toujours muette, j'observe sa longue chevelure étincelante s'envolant adorablement dans son dos. Elle balaye d'un revers de main quelques mèches atterrissant négligemment sur son visage avant de passer sa langue sur ses lèvres. Et à mesure que le vent change de direction, l'agréable senteur me revient au nez. C'était elle. La princesse des glaces.

– Qu'est-ce que tu fais là, Elizabeth ?

Elle ne détourne pas le regard du lac, qu'elle semble regarder bouger au gré du vent. Parfois, elle se met à sourire en sentant une bourrasque trop forte projeter quelques gouttes sur le bout de son nez.

– Je t'ai trouvé.

Je vois réapparaître cette mine mutine. Comme si ce n'était autre qu'un jeu. Au fond, s'en est peut-être un. Ce n'est pas le jeu auquel j'ai l'habitude de jouer, et ça m'agace, parce que je ne connais rien des règles.
Le bout de son nez frétille quand une agréable odeur de nourriture traverse nos narines, et elle se met à rire de bon cœur. A la vue de tant de joie sur son minois, je ne peux m'empêcher de faire de même. Elle n'a rien à voir avec la fille faussement épanouie que j'ai vu dans ce bar miteux il y a quelques jours. Aujourd'hui, elle le semble vraiment.

HornsWhere stories live. Discover now