Mother-of-Pearl

Chapitre 2

A genoux à côté du lit de son père, Jimin tenait sa main inerte et glaciale dans la sienne contenant du mieux qu'il le pouvait, la tristesse qui consumait son cœur. Il y avait trop de monde dans la suite royale pour qu'il ne puisse laisser exploser son chagrin. Trop de regards qui voyaient en lui le prochain souverain, qui en attendaient tant de lui, qui reposaient tous leurs espoirs sur ses maigres épaules.

Il n'était pas prêt.

Et ne l'avait jamais été.

Son père était supposé vivre encore quarante ou cinquante ans, années durant laquelle il aurait appris à son jeune fils comment devenir roi et gouverner un monde à l'échelle des mers et des océans. À l'échelle de la profondeur des abysses. Il regretta son comportement capricieux et fugueur, il regretta de s'être trop souvent écarté de son devoir et son apprentissage. Le monde de nacre allait mal, les bas-fonds de l'Océan suffoquaient sous la menace humaine et son père n'avait fait qu'entamer des mesures et pris des débuts de décisions désormais avortées par sa mort prématurée. Jimin avait trop peu souvent assisté aux conseils pour avoir la moindre idée de ce qu'avait commencé à mettre en place son père. Il ne savait pas comment faire perdurer ses efforts, comment prendre soin de son royaume face à une menace qui le fascinait autant que l'effrayait. Alors que son père se battait pour preserver la discrétion de leur monde aux yeux des navires, sous-marin, sondes, et satellites humains, Jimin nageait vers la surface pour admirer les surfeurs, les voiliers ou les oiseaux de fer qui laissait derrière eux un sillon de fumée blanche, comme une cicatrice enneigée sur le ciel azur.

L'eau tremblait.

Animé par la peine de Jimin mais aussi et surtout la colère d'un peuple dont le roi rempli de promesses vaines venait de mourir. A la surface, Jimin savait que les bateaux seraient pris dans les tempêtes et la fureur de vagues. Il savait que le ciel serait gris et la surface presque noire. Un visage que les humains craignaient. Un visage que l'armée de nacre voulait prolonger pour abattre les navires ; faire chavirer les paquebots, monstres d'acier qui polluaient leur monde ; et pour dissuader les humains de s'aventurer en mer.

Pour ces même raisons, l'armée forçait les portes du château royal, se répandant par hordes dans les jardins majestueux qui l'entouraient, brisant les coraux géants qui avaient toujours protégés les murs de l'édifice, soumettant le personnel qui se dressait sur leur route. Armés et rendus agressifs par la peur d'un état sans lois ni règles, ils se dirigeaient comme une ombre rampante jusqu'à la suite royale, jusqu'au prince égaré, jusqu'à Jimin, fils incompétent et déraisonnable de leur défunt roi. Qui, sain d'esprit, dans ce monde, laisserait un enfant prendre les rênes d'un si gigantesque royaume ? Qui se soumettrait aux ordres d'un roi dont il manquait la moitié ? Ses écailles aussi blanches que l'écume, aussi resplendissantes que la nacre signaient sans aucun doute son appartenance et son sang royal mais qu'était la nacre sans son coquillage ? Qu'était le fruit sans sa coquille ? Qu'était le soleil sans la nuit ? Jimin n'avait pas de partenaire, pas de protecteur. Et Jimin n'avait jamais vu une sirène aux écailles noires. Noir comme les abysses, comme le charbon et la nuit. Un roi sans son armure ne pouvait régner. Le peuple le savait et n'accepterait jamais la moitié d'un souverain.

Lorsque l'armée furieuse arriva aux porte de la chambre du souverain, Hoseok, premier conseillé du roi et ami de Jimin le força à se lever, à lacher cette main glaciale et sans vie à laquelle il s'accrochait depuis des heures et à quitter la chambre de son père. Il le poussa hors du château, s'engouffrant avec lui dans un tunnel de roche et de coraux dorés. Un tunnel qui n'avait jamais servi qu'en cas d'urgence et n'était connu que de la famille royale et ses proches.