Où avait pu disparaître Nicolas ? C'était la question qu'Auré se posait depuis dix bonnes minutes. Les yeux rivés sur ce téléphone posé sur la commode du salon, il hésitait. A appeler ses grands parents dont le numéro était inscrit dans les premières lignes sur le répertoire. Il n'avait qu'à taper les quelques touches nécessaires sur l'appareil, et il aurait ses parents au bout du fil. Mais il ne sautait pas le pas. Parce qu'il ne voulait pas passer pour une balance, mais aussi parce que dénoncer son frère leur ferait perdre leur relation, qui parfois ne tenait qu'à un fil. Aurélien voulait se convaincre qu'ils étaient capables de gérer cette situation tous les deux, sans aide extérieure. Et puis, il ne voulait pas déranger ses parents qui étaient suffisamment préoccupés par l'état de santé de sa grand-mère. Alors Auré avait attendu sur le divan noir, miraculeusement épargné par le vomi des fêtards. Il ne voyait plus le temps filer, affalé contre le canapé. Nico avait fini par claquer la porte de l'appartement, et soulagé, Auré avait couru vers lui pour l'engueuler.
— Va te coucher, frérot. Je gère.
— Et les dizaines de mecs à terre ?
— Tranquille. Je me débrouille.
Nicolas avait fait sortir Aurélien du salon pour le pousser vers sa chambre. Il avait tenté de réveiller les quelques tocards qu somnolaient. Deux sur les six s'étaient levés et le brun les avait mis à la porte sans états d'âme. Il n'avait pas réussi à réveiller les autres, sans doute endormis dans un profond sommeil, il ne s'en était pas plus préoccupé et avait machinalement monté l'échelle du lit superposé pour s'endormir à son tour.
— T'as fait sortir tout le monde, avait interrogé Aurélien après quelques secondes.
— Ouais, t'inquiètes, nickel, avait fait Nico en mentant.
* * *
Quand Auré s'était réveillé par le soleil qui donnait sur la pièce, il n'avait pas trouvé son frère. Les volets n'avaient pas été tirés le soir précédent par négligence, et le blond se leva pour retrouver son frangin au salon. Les quatre gars qui s'étaient endormis la veille sirotaient tranquillement un chocolat chaud aux côtés de Nico qui buvait le sien en leur proposant un doliprane pour réduire leurs maux de tête liés à leur cuite de la soirée. Le blondinet ne s'attendait pas vraiment à croiser ces mecs qui s'étaient fortement alcoolisés la veille et qui lui avait causé tant d'ennuis.
— Salut. Ils font quoi là ? avait demandé Aurélien en pointant du doigt les gars attablés à côté
— Ben ils mangent.
— Merci. J'avais pas vu. Non, je voulais dire : ils font quoi ici alors que tu m'avais dit hier que tu les mettais dehors ?
— C'est un peu compliqué, en fait.
— Mais je t'en prie. J'ai tout mon temps.
Aurélien avait usé de son autorité pour la première fois. Les trois garçons s'étaient fait tous petits et les bras croisés devant sa poitrine, le blond attendait une explication de son frère. Visiblement, il ne faisait pas le malin.
— C'est-à-dire... Hier, j'ai un peu galéré pour les mettre à la porte. Bref, ils vont partir aujourd'hui, hein, les gars ?
— Ouais. T'inquiètes.
Auré était resté silencieux. Il avait sorti son nesquik et avait ingurgité tranquillement son petit-déjeuner. Il s'était attelé ensuite à ses devoirs qu'il n'avait pas vraiment eus le temps de faire, et son frère avait fini par faire sortir les intrus.
— Nicolas, s'il te plaît... Refais plus ça. T'invites des gens, tranquille... Sans penser à moi, évidemment.
— Ouais. Déso. Je savais pas comment ça allait finir. Bon. Je vais aller voir Jo' tout à l'heure.
— OK. Je vais appeler maman.
— T'as pas intérêt à me dénoncer.
— Pas mon genre. A plus.
Nicolas avait enfilé un sweat et était sorti de l'appartement. Il voulait certainement clarifier ce qu'il s'était passé la nuit précédente. Il était confus et sans doute que sa copine aussi. Et puis cette fois-ci il n'aurait pas à monter sur le toit d'un garage pour lui parler.
Aurélien, heureux de se retrouver enfin seul chez lui appela sur le téléphone de ses grands-parents. Il eut sa mère au téléphone, qui lui assura que ça allait mieux pour Micheline, qu'elle était sorti d'affaire. Le couple rentrerait donc le soir. En fin de soirée, avait précisé Catherine.
— Avec les bouchons, on sait pas trop à quelle heure on arrivera.
— OK. Pas de soucis.
— Ton frère est sage, au moins ?
— Ouais, t'inquiètes pas.
— Vous vous couchez tôt, hein, ce soir ! Ne regardez pas trop la télé. Il doit rester un paquet de tagliatelles, tu pourras faire ça pour aujourd'hui.
— Ouais ouais. Bon, passe le bonjour à tout le monde.
Aurélien n'était pas très bavard au téléphone. Un peu comme tous les gosses de son âge. Il se décida lui aussi à sortir pour s'aérer. Après tout, il n'avait rien à faire dans son appartement et son frère avait eu le courage de nettoyer, probablement avec l'aide des trois gars qui lui était totalement inconnus qui devaient se sentir coupables. Aurélien avait pioncé longtemps, il s'était endormi à près de quatre heures du matin, et avec la courte nuit qu'il avait passé la veille, on était plus en début d'après-midi qu'en fin de matinée. Il sortit alors de sa chambre récupéra son trousseau de clés dans ses poches, referma la porte de l'appartement et dévala quatre à quatre les marches de l'escalier qui allaient le mener dans la rue. Il n'irait pas voir ces amis, ce jour-là de la semaine, ils le réservaient à leur famille, qui souhaitait aussi parfois profiter d'un temps ensemble. Auré allait chez sa grand-mère à Vitrolles, se faisait chier en traînant dans les rues de la bourgade, Clément et sa famille de cathos pratiquants allaient à la messe pour tuer le temps alors que pour le gamin c'était plus source d'ennui qu'autre chose. Il se faisait toujours chier quand le chef de la paroisse prêchait la parole de L'Évangile.
Le parc de la Maternité était donc de nouveau ouvert, et le blond pensa à cette nuit qu'il avait passé avec son pote Clément à regarder les étoiles derrière les séquoias. C'était débile, ils ne voyaient quasiment rien la pollution lumineuse des lampadaires empêchait les étoiles de se montrer. Aurélien s'était accoudé au banc à côté du terrain de foot qu'il squattait le soir avec ses potes. Rêveur, il eut vite envie de bouger et retrouva à son grand étonnement Ichrak, qui s'occupait de son frère en lui mimant des mots en kurde. Aurélien se décida à s'approcher d'elle. Depuis le lundi, ils ne s'étaient pas échangé trois mots en classe. Ichrak était timide, et Auré aussi.
— Hum... Salut !
Ichrak avait cessé de chantonner à l'oreille de son petit frère pour concentrer pleinement son attention sur Aurélien.
— Salut ! Tu vas bien ?
— Ouais. Et toi ?
— Ça peut aller. Ça te dis qu'on aille se balader sur le Vieux-Port ?
— Je dis pas non. Et ton frère ?
— Je vais le déposer chez moi. Tu m'accompagnes ? C'est pas loin.
— OK. Pas de soucis.
Ichrak avait pris la direction de son appartement dans le quartier, rue d'Orange. C'était un endroit vétuste où s'entassaient des dizaines de familles d'immigrés venus chercher un appart chez un marchand de sommeil. Il y avait bien deux pièces comme l'avait énoncé la jeune fille, et des fissures striaient les murs. Elle passa dans la kitchenette où sa mère passait sa vie à cuisiner en essayant d'oublier ses soucis pour lui remettre son fils en échangeant quelques mots en kurde. L'appartement était désert, ses frères et son père prenaient le soin de ne pas traîner dans le coin la journée, pour éviter de se marcher dessus dans l'espace si restreint. Quelques instants plus tard, les deux amis purent quitter le domicile pour repartir vers des endroits qu'ils connaissaient et aimaient, comme le Vieux-Port ou le Panier, ces lieux où ils étaient réellement libres, où ils pouvaient expérimenter la douce beauté d'être eux-mêmes.

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Et ils danseront dans les ténèbres
General FictionAurélien a quatorze ans, quelques réflexes de grand et une bande de potes soudée avec qui il passe ses journées dans le parc de son quartier marseillais. Quatre gamins qui regardent le foot avec admiration en jonglant entre les cours, les amis et la...