Chapitre 2

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Les pieds de Khulan avait cessé de la lancer à peu près vers la fin de la deuxième aile de poulet. Elle trempa son pain dans la sauce et l'englouti avec de l'oignon et une pomme de terre, laissant son estomac se reposer avant d'attaquer l'autre moitié du poulet. Elle n'avait pas réalisé à quel point elle avait faim avant de se voir proposer de prendre son déjeuner ici, plutot que dans une heure, sur la route, avec une ration de voyage. Elle espérait que l'aubergiste ne l'avait pas vue se mettre immédiatement à saliver ; ça faisait un peu mauvais genre.

Elle ferma les yeux et réfléchit au reste de sa journée. En partant dans une heure, elle avait des chances d'atteindre le refuge de chasseurs qu'on lui avait indiqué hier. Peut-être même avant que le soleil n'ait totalement disparu. Après ça, elle entamerait le dernier bras de son voyage. Dans une semaine, le littoral. Et après ça ; un autre continent.

Enfin, ça c'était la théorie, rumina-t-elle en détachant une des pattes de poulet pour mordre dedans. En pratique, elle passait le plus clair de son voyage à s'arrêter à droite et à gauche pour aider les inconnus, et elle avait déjà pris plus de cinq semaines de retard sur ses prévisions. C'était comme si dans la tête des gens, une louve guerrière de presque deux mètres en armure avec une arme aussi grande qu'elle était la solution parfaite à tous leurs maux. Alors d'accord, pour l'instant ils avaient raison, mais qu'arriverait-il le jour où un bon gros coup d'épée ne serait pas la solution appropriée ?

La roavdyr sursauta quand la porte de l'auberge s'ouvrit à la volée pour laisser place à une femme hors d'haleine, aux cris éplorés et aux yeux larmoyants.

— Briar ! cria la vilageoise. Briar au secours, je ne sais pas quoi faire ! J'ai besoin...

Elle s'arrêta net quand ses yeux tombèrent sur Khulan, pilon de poulet suspendu immobile entre sa bouche et son assiette. Elle vit les muscles puissants de Khulan sous sa fourrure gris-bleu. La massive épée à deux mains de Khulan posée contre la table. Les grands crocs de Khulan, humides de graisse de volaille.

Khulan, elle, cligna des yeux quand la femme vint se jeter à ses pieds en sanglotant.

— Guerrière ! Guerrière, aidez-moi ! Ma pauvre, ma pauvre petite Rufina.

La grande louve se râcla la gorge, embarrassée, et reposa la patte de poulet avant de se pencher pour tapoter l'épaule de la villageoise.

— Allez, relevez-vous madame, c'est pas la peine de faire tout ça... Qu'est-ce qui se passe ? Quel est votre nom ?

— Oh, oui, pardon.

La femme essaya de reprendre son souffle, et Khulan la guida gentiment jusqu'au tabouret en face d'elle.

— Je m'appelle Arni. Ma fille Rufina a disparu.

Les oreilles de Khulan se dressèrent, et elle se pencha vers son invitée.

— Disparue ?

— Oui madame ! Oh, par les dieux, je voudrais tant me tromper...

La louve poussa sa chope de cidre devant Arni.

— Tenez, Arni, buvez un peu et racontez moi depuis le début.

La mère éplorée hocha la tête et but une gorgée d'alcool.

— Ce matin, dès le lever du soleil, j'ai envoyé ma fille Rufina porter à manger à son grand-père, qui habite dans la forêt.

— À manger ?

— Oui, une galette d'ici et deux-trois autres petites choses. Vous savez.

Khulan décida de prétendre qu'elle savait et lui fit signe de continuer.

— Mais peu après son départ, je me suis rendue compte que j'avais oublié de lui confier la poulie que mon père m'avait demandé de lui apporter la dernière fois.

— Ça, c'est l'erreur bête, commenta Khulan tout en se demandant vaguement en quoi un vieux de la forêt avait besoin de poulies.

— Je suis donc allée dans la forêt en me dépêchant pour rattraper Rufina. Je comptais terminer le chemin avec elle, après tout ca faisait longtemps que je n'avais pas vu mon père. Mais...

Des sanglots lui montèrent dans la gorge, et Khulan lui tapota la main.

— Mais je ne l'ai jamais rattrapée ! Je suis arrivée jusqu'à chez mon père, et il m'a dit... Il m'a dit...

Khulan avait deviné la suite, mais préféra la laisser finir.

— Il m'a dit que Rufina n'était jamais arrivée, termina Arni.

La dernière syllabe grimpa dans les aigus tandis qu'elle s'effondrait sur la table, secouée de pleurs. La roavdyr se leva et alla payer Briar, qui regardait la scène avec inquiétude.

— Je suis désolé, voyageuse, lui dit-il. Arni n'est pas comme ça d'habitude, vous voulez que je la ramène chez elle ?

Khulan secoua la tête.

— Non, je vais le faire, je voudrais lui poser quelques questions.

— Vous voulez dire que vous allez l'aider ?

Il prit aussitôt un air gêné et rajouta :

— J'étais un peu obligé d'entendre, elle parlait plutôt fort.

La louve sourit.

— Oui, je vais retrouver sa fille.

Elle lui fit un clin d'oeil.

— Je veux dire, si une grande gaillarde comme moi avec une armure et une grosse épée ne peut pas régler ce genre de problème, qui le pourrait ? Ce n'est pas comme si j'étais pressée, après tout.

Perdue en forêt - une aventure de KhulanWhere stories live. Discover now