Perdue en forêt - une aventure de Khulan

Chapitre 4

Museau pointé, Khulan se lança sur la piste de la galette. En quelques secondes, elle s'était éloignée du sentier jusqu'à en perdre toute trace. La fille d'Arni avait été très vilaine, à s'écarter du chemin comme ça. Ou bien avait-elle était attaquée puis emportée ? La louve se rembrunit. Ce n'était jamais drôle de voir un sauvetage se changer en vengeance. Elle n'avait pas rangé sa hachette et la serra dans son poing tout en aplatissant son corps massif. Khulan avança ainsi en direction de la source de l'odeur, courbée et les oreilles braquées vers l'avant. Elle ne connaissait pas la région, et les odeurs de certains des végétaux lui étaient inconnues ; il lui fallait faire un effort de volonté pour ne pas se laisser distraire. Heureusement, l'odeur de galette était là pour guider ses pas.

Finalement, Khulan écarta un buisson et découvrit son objectif. Devant elle se dressaient quelques vieilles ruines, sur lesquelles la forêt reprenait peu à peu ses droits avec la lenteur de celle qui sait que le temps lui appartient. De ce qui avait été une grande construction, un temple ou un tombeau, ne restaient plus que d'antiques colonnes couvertes de mousse et quelques vestiges de murs.

Khulan savait reconnaître un donjon quand elle en voyait un.

Tombes anciennes, antres de créatures, galeries de vers géants, souterrains peuplés de monstres et même, parfois, un réel donjon avec des cachots et tout le tralala... il y en avait pour tous les goûts. Employer le mot « donjon » pour tout ça était impropre, mais c'était devenu le terme d'usage. Et le monde en cachait autant que son cousin avait de puces. Tant de civilisations s'étaient bâties avant de s'effondrer, au fil des siècles et des millénaires... Il était peu probable que les aventuriers comme elle, dont la principale occupation était d'explorer ce genre de lieu et de les nettoyer de leurs menaces, se retrouvent un jour à ne rien faire. Entre chaque petit royaume, chaque cité-état, s'étendait une nature sauvage et hostile. Les grands empires de naguère, qui s'étendaient sur des lieues et des lieues et faisaient la taille d'un demi-continent, n'étaient plus qu'un lointain souvenir qui n'intéressait plus que les érudits et les chasseurs de trésors. Il n'y avait rien de comparable de nos jours.

Et même sans forcément parler des tours maudites de nécromanciens oubliés : même un sorcier bienveillant pouvait parfaitement vous pourrir l'existence trois mille ans après sa mort ; lorsque ses glyphes de protection arrivaient enfin à court d'énergie et que les choses qu'elles emprisonnaient s'enfuyaient dans la nature.

En bref, Khulan se retrouvait en terrain connu. L'odeur de galette venait de là, et elle allait tirer ça au clair. Elle n'avait pas particulièrement hâte d'annoncer la funeste nouvelle à Arni, aussi préférait-elle pouvoir ajouter que Rufina avait été vengée. La guerrière rangea sa hachette pour la troquer contre son épée à deux mains, qu'elle glissa silencieusement hors de son fourreau. Elle soupesa l'arme, le poids conséquent du métal entre ses pattes amenant dans sa tête les gestes mille fois répétés. Encore une fois, cette lame allait tuer.

Ses considérations furent brutalement interrompue lorsqu'une forme écarlate jaillit de derrière un mur non-loin d'elle. L'espace d'une demi-seconde, la louve crut être face à une de ces affreuses araignées rouges qu'elle détestait tant. Mais il s'agissait juste des vêtements que portait l'apparition, une jeune femme à l'air farouche.

Khulan sursauta. Avec une allure pareille, ça ne pouvait être qu'une hors-la-loi. Elle eut soudain l'espoir que Rufina ne soit pas morte, mais simplement prise en otage par la bande de malfaiteurs à laquelle appartenait cette fille. Elle était de taille moyenne, échevelée, et ses yeux bleus lançaient des éclairs. Son visage était maculé de saletés et elle brandissait une petite épée tachée de sang.

— Je suis Khulan, annonça la guerrière, et on m'a envoyée dans la forêt à la recherche de quelqu'un. Je ne pensais pas tomber par hasard sur un repaire de brigands.

De la direction d'où la jeune femme était venue, un brouhaha enfla ; vociférations et bruits de bottes.

— Tes camarades arrivent à ta rescousse ? gronda Khulan en tendant ses muscles. C'est parfait, l'un d'entre vous saura me dire où trouver Rufina.

— Alors heu, pas vraiment, dit la fille aux habits rouges.

Elle pointa en direction des nouveaux arrivants, des individus patibulaires armés et vêtus comme des bandits. Sur le bras tendu de la jeune femme, Khulan remarqua les meurtrissures que des liens trop serrés avaient laissé sur sa peau.

— Rufina, c'est moi. Et si tu es vraiment venue me chercher, je ne refuserais pas un peu d'aide.