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Jour 18 de la lune des Pluies Verdoyantes, 1182

Le temps a tourné en notre faveur. Cette lune a donné lieu à d'impressionnantes pluies qui ont transformé le champ de bataille en véritable terrain de boue. Des vents forts agitent Fódlan ; des tempêtes ont d'ailleurs frappé Enbarr il y a une semaine à ce qu'il paraît. La nature nous rappelle à quel point elle est indomptable.

Dans ces conditions, les automates de l'Ordre de Seiros peinent à se mouvoir, et grâce aux nouvelles bêtes de mon oncle, nous parvenons enfin à respirer. Néanmoins, cette pluie gênante nous a empêchés de mener de véritables combats contre l'armée royale : impossible de se battre convenablement dans ces conditions. Au moins, comme nous mettons progressivement hors d'état de nuire les automates, mes hommes se reposent enfin. Avec cette pluie, ils sont condamnés à rester à l'abri dans leurs tentes, mais je préfère cela aux bains de sang.

Cet après-midi, j'ai dû sortir quelques instants de mes quartiers pour discuter de notre stratégie avec mon oncle. Sur le chemin du retour, j'ai aperçu au loin Mila qui me faisait signe : elle était assise sur une petite colline contre le tronc d'un arbre dont le feuillage la protégeait de la pluie. Je l'ai donc rejointe pour me mettre à l'abri un petit moment. En arrivant à côté d'elle, j'ai vu qu'elle griffonnait sur une feuille de papier.

ー C'est donc de cette manière que tu occupes ton temps libre ! me suis-je exclamée sur un ton faussement moralisateur.

Mila s'est mise à rire puis m'a fait signe de m'asseoir.

ー Que voulez-vous donc faire avec cette pluie, Votre Majesté ? Il est bon parfois de savoir lâcher prise et de se reposer un peu.

J'ai immédiatement compris le double sens de ses paroles ; aussi, j'ai refusé son invitation en disant :

ー Malheureusement je n'ai aujourd'hui pas le temps de rester avec toi Mila, je suis navrée. Hubert m'attend déjà pour...

ー Votre Majesté, s'il vous plait.

Déchirée par l'expression si triste qu'elle m'adressait, je me suis mise à soupirer puis me suis finalement assise à côté d'elle. En y repensant maintenant, cette pause m'a fait le plus grand bien. Il était agréable de regarder le camp sous cet arbre. Le bruit métallique des armes qui s'entrechoquaient et le rire joyeux des soldats étaient bien lointains. La pluie, qui tombait sur les feuilles, produisait quant à elle une douce mélodie qui m'apaisait. Cela faisait un moment que je ne m'étais pas sentie si reposée.

Comme Mila ne me parlait pas, je me suis penchée vers elle pour regarder la feuille sur laquelle elle griffonnait.

ー Mais c'est moi que tu dessines ! me suis-je étonnée.

ー Oui, m'a-t-elle répondue en souriant. Je glisserai la feuille dans la prochaine lettre que j'enverrai à Violet. Je me suis dit que cela lui ferait plaisir de savoir à quoi vous ressembliez.

ー Tu lui écris souvent ?

ー Tous les jours.

Violet doit être une femme comblée.

ー En tout cas tu as du talent, lui ai-je confié. Je trouve que ton portrait me ressemble beaucoup.

ー C'est vrai ? Je suis contente qu'il vous plaise. Est-ce que cela vous arrive aussi de dessiner, de temps en temps ?

Je me suis sentie un peu gênée.

ー Pas vraiment... À vrai dire, mes talents en dessin sont loin d'égaler les tiens.

ー Ne dites pas ce genre de choses. Tenez, faites-moi un dessin pour me montrer ! a-t-elle lancé avec enthousiasme.

ー Je ne pense pas que ce soit une...

Mila ne m'a pas laissée finir ma phrase : sans que je ne puisse réagir, elle avait déjà mis dans mes mains une nouvelle feuille et un crayon.

ー Et qui veux-tu que je dessine ? lui ai-je demandé, embarrassée. Jamais je n'oserai me risquer à te dessiner toi.

ー Dessinez quelqu'un d'autre alors, quelqu'un à qui vous tenez.

ー Quelqu'un à qui je tiens... ?

Après avoir pris une grande inspiration, j'ai commencé à esquisser quelques traits avec maladresse. Mila, à côté de moi, observait mes gestes avec attention et me donnait des conseils (je crois avoir appris beaucoup de choses grâce à elle !). Quand mon portrait fut terminé, je l'ai regardé, satisfaite, et une étrange sensation a parcouru mon corps.

ー Vous voyez, ce n'est pas si mal, a dit Mila avec fierté. Votre dessin manque peut-être juste d'un peu d'émotion...

ー Non, lui ai-je répondu. C'est parfaitement elle.

À ce moment, j'ai dû faire je ne sais quel sourire idiot, car elle s'est mise à rire et m'a donné des petits coups avec son coude.

ー Je savais bien que quelqu'un retenait votre attention ! Qui est-ce ? Dites-moi ! Je ne l'ai jamais vue !

ー Tu te méprends complètement, Mila ! me suis-je exclamée, extrêmement gênée.

Finalement, nous nous sommes chamaillées un peu avant de redevenir silencieuses, écoutant la douce mélodie de la pluie qui nous rappelait où nous étions.

ー Il s'agit de mon professeur, ai-je murmuré. Lorsque j'étais étudiante à l'Académie des Officiers, c'est elle qui m'a appris l'art de la guerre. C'était une personne vraiment formidable.

ー Pourquoi parlez-vous d'elle au passé ?

ー Elle a disparu il y a plus d'un an et reste toujours introuvable.

J'ai laissé le silence flotter un instant, comme pour m'aider à me la rappeler. En fermant les yeux, j'ai serré contre mon cœur le dessin que je venais de faire puis j'ai repris :

ー D'ailleurs, aujourd'hui c'est son anniversaire.

Mila n'a pas prononcé le moindre mot ensuite ; elle a juste posé sa main sur la mienne, comprenant sans doute ma douleur.

ー Cela ne me ressemble pas d'être aussi sentimentale, ai-je alors dit, un sourire aux lèvres.

ー Il n'y a pas de mal à se laisser aller de temps en temps.

ー Tu as sans doute raison... Je ne sais pas pourquoi, mais quand je suis avec toi je ne fais plus attention à ce que je dis. Tu es une amie très spéciale Mila, tu sais.

ー Je prends cela pour un compliment.

Par la suite, nous avons continué à discuter de choses sans grande importance. Finalement, je n'ai pas vu le temps passer et je me suis faite sermonnée par Hubert quand je suis retournée dans mes quartiers. Mais je ne regrette rien. Cet après-midi en compagnie de Mila a été fort agréable. Je vais glisser le portrait que j'ai fait du professeur dans mon journal (finalement, j'en suis assez fière). Je continuerai à m'exercer au dessin quand j'en aurai l'occasion. Les conseils que Mila m'a donné ont au moins accordé à mes traits une certaine élégance.

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Le Journal d'EdelgardWhere stories live. Discover now