Chapitre 4 - La cuvette

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À peine entré dans la chambre d'un luxueux hôtel cinq étoiles, je me dirigeai en titubant vers le paradis de tout bon queutard – le lit – et me laissai tomber dessus à plat ventre, aussi mollement qu'un Flamby démoulé qui aurait chuté du haut d'une table. Il était si moelleux que tout mon corps s'enfonça dans le matelas, et si grand qu'on pouvait tenir à quatre comme dans une boite de sardines. Ce qui me fit sourire en y pensant. Les draps sentaient bon le frais, tout le contraire de mon haleine qui empestait l'alcool.

Après ma petite embrouille avec Erik, où plutôt avec Arès, j'avais pris soin de vider, à l'intérieur de mon gosier, toutes les mignonnettes présentes dans le minibar de l'avion. Whisky, rhum, bourbon, vodka, saké, tequila, cidre et j'en passe. Ma bouche avait fait le tour du monde des spiritueux et tout se mélangeait à présent internationalement dans mon bide. J'avais toujours ma conscience –enfin je crois – mais j'étais à deux doigts de tout rendre et de transformer mon périple gustatif en soupe à la grimace. Il était rare que je m'enivre à ce point, autant qu'il était rare que je me dispute avec Erik. Mais au vu de ce qui se profilait à l'horizon, il était clair que j'allais devoir investir dans une cave à vin ou copiner avec un barman. Arès voulait jouer aux échecs avec le genre humain. Il était le roi noir, et moi, son cavalier. Il avait besoin de placer ses pions et c'était pour cela qu'on était au pays des sushis.

J'entendis soudain un bruit provenant de la porte que j'avais laissée ouverte. J'ouvris mon œil droit, le visage planqué dans le molleton de l'oreiller, et vis un charmant Japonais portant une valise dans chaque main. C'était le garçon d'étage qui amenait nos bagages.

— Monsieur Jorgensen, pardonnez-moi de vous importuner, je vous apporte vos valises, m'informa-t-il d'une voix hésitante.

Sans bouger de ma position, je fis un grand geste du bras afin de lui faire comprendre qu'il pouvait les mettre où bon lui semblait. Il ne s'aventura pas trop loin de l'entrée pour les poser, et repartit aussitôt, de peur de me déranger ou parce qu'il avait interprété ma gesticulation comme une incitation à dégager.

Quelques minutes plus tard, Erik entra dans la pièce en prenant soin de refermer la porte. Il avait fini par retrouver sa condition humaine dans l'avion au détriment d'Arès, tandis que moi j'étais en train de perdre la mienne au profit de la salle de bains qui m'appelait, et plus précisément de la cuvette des W-C. Son parfum musqué embauma instantanément la pièce. Il n'en fallait pas plus pour me provoquer, sauf qu'au lieu de m'exciter cette fois, il me donna envie de rendre mes tripes.

Je me levai brusquement en manquant de m'étaler par terre, et fonçai vers les toilettes y gerber mes entrailles à genoux. Je vomis au moins un litre – si ce n'est plus – en m'y reprenant à plusieurs fois. Mon œsophage me faisait mal à chaque passage, et mes tempes tambourinaient dans mon crâne à la manière d'un tam-tam africain. La douleur que mon corps ressentait me faisait oublier celle que mon cœur endurait. Mon visage était sous pression tout autant que mes yeux. J'avais tout rendu dans ces chiottes, même mon vague à l'âme. Je n'étais plus qu'un légume.

Je vis tout à coup le tourbillon de la chasse emporter mes restes dans un bruit assourdissant. J'avais envie de plonger ma tête dedans pour y disparaitre avec, mais j'étais tellement groggy, qu'au lieu de ça, je m'assis, hébété. Des bras musclés m'agrippèrent par-derrière pour me soulever, puis la chaleur d'un torse viril se propagea dans mon dos. Et ce musc, celui d'Erik, qui contrastait avec l'odeur persistante de mon vomi, émoustilla mes narines.

— Laisse-moi, marmonnai-je.

— Non.

Il m'enlaça davantage de façon à me faire tenir debout. Me soutenant fermement, il me fit avancer en même temps que lui. J'avais l'impression d'avoir un an et que ma défunte mère m'aidait à marcher. Je vis le lit se rapprocher comme un raz de marée et les meubles danser tout autour. Erik m'allongea sur le matelas et resta collé contre mon dos, puis il m'entoura de ses bras tandis que je me recroquevillai en fœtus.

— Tu veux que je fasse venir une fille ? me demanda-t-il.

— Non.

J'avais l'impression que ce soir aucun pansement ne pouvait adhérer suffisamment à mes plaies pour pouvoir toutes les contenir. J'avais juste besoin d'être avec lui, de profiter de sa tendresse envers moi, avant qu'Arès ne la supprime à tout jamais. Je sentis ses doigts se glisser dans mes cheveux à proximité de ma tempe. Je fermai les paupières et m'imaginais que c'étaient ceux de ma mère. Elle faisait pareil quand j'étais gosse. Je revoyais son doux visage en même temps que ses yeux verts et sa belle chevelure blonde qu'elle attachait en chignon. Il y avait toujours une mèche qui se faisait la malle et qu'elle était obligée de ranger derrière son oreille. Le genre de geste que vous pouvez trouver sexy un moment et agaçant quand il est fait trop souvent, au point d'avoir envie de prendre des ciseaux pour y mettre un terme.

Tandis que ses traits disparaissaient peu à peu dans mes songes, je finis par m'assoupir paisiblement. Rares étaient les fois où je m'endormais en voyant ma génitrice, sans le visage crispé de la mort qui l'avait emportée, et sans les yeux larmoyants d'Erik, enfant, qui pleurait à côté de son corps et celui de sa mère, à genoux dans une mare de sang.


Swen, garde du corps [sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now