Il pleut

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Naomie

LES CHALEURS D'ABIDJAN

Il pleut sur Abidjan.

J'ai vu de ces choses durant ces quatre derniers mois, je n'ose même plus y penser. J'ai vu de mes yeux des têtes égorgées, des familles abattues... J'ai vu une mer de sang inonder les foyers de ma nation. Je ne reconnais plus mes frères, je ne reconnais plus mes sœurs. Les séquelles de ce coup d'état injustifié n'ont laissé que souffrance et méfiance. J'ai vu des gens injustement condamné. J'ai vu et compris que la politique au même titre que la démocratie n'est rien d'autre qu'un concept tournant autour de la loi du plus fort, du plus avide de pouvoir, du plus corrompus. Nous, le peuple, ne sommes que pions dans un jeu écrit d'avance... Mon cœur saigne et je ne sais même plus comment appeler la main de Dieu. Personne ne comprends ce que demande une telle situation. La force, la maîtrise de soi... D'être dépourvu de tout ce que l'on considère moralement, émotionnellement essentiel... Ne plus pouvoir travailler, aller au supermarché, ne plus pouvoir s'asseoir contre son palmier, son cocotier préféré...

Quand on vit dans la peur d'un coup d'état, même chez-soi on n'est pas en sécurité. Ils nous ont dérobé notre joie, notre sérénité... Ils nous ont retiré la Côte-d'Ivoire qu'on connaissait, l'ont déchirée pour la gouvernance d'une institution indépendante qu'en théorie. Avant ce drame, je ne comprenais pas la Côte-d'Ivoire. Je ne comprenais pas Abidjan. J'étais persuadé que la beauté de ma terre était dans les paysages, dans les nuits étoilées... Dans des éléments parallèles à la réalité des choses. Je vous parlais de plages, de boîtes de nuits...

Ce qui fait la chaleur d'Abidjan, c'est son peuple. Nous. Ce qui faisait la chaleur d'Abidjan, c'était le peuple. Mais aujourd'hui, il pleut sur Abidjan. Aujourd'hui la Côte-d'Ivoire est découragée, traumatisée. Et la peur nous a tellement tétanisé, qu'il n'y a personne pour se révolter.

J'ai vu une enfant mourir d'une crise cardiaque suite à des crises d'angoisses à cause des coups de feux incessant. Elle a rendu l'âme dans mes bras alors que je lui demandais de respirer.

Je le redis, personne ne comprends ce que demande une telle situation. Ils nous ont tout pris. Assis sur leur trône présidentiel, ils nous ont arraché la chaleur de nos coeurs pour ne laisser que la peur. La peur.

J'ai peur quand on condamne un citoyen sans preuve. J'ai peur quand on rue de coups un homme accusé injustement de crimes non-prouvés. J'ai peur quand on le jette en prison sans procès, j'ai peur pour ce Alexander qui n'a pas eu son mot à dire dans cette conspiration qu'on lui a craché au visage.

J'ai peur. Dieu seul sait combien j'ai peur.

Il pleut sur Abidjan, il pleut sur mes joues... Il pleut dans mon coeur.

Que le Seigneur bénisse la Côte-d'Ivoire.

Les chaleurs d'AbidjanWhere stories live. Discover now