Prologue

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Affalé sur le petit banc qu’occupais l’arrière du centre de santé, je profitais de l’air frais qui filtrait à travers les arbres et les belles fleurs du petit jardin sauvage dont elle était dotée. Durant le mois d’octobre, il était très rare de profiter d’une nuit froide sans pluie, mais ce soir, c’est ce qui arrivait. Je laissais valser mon esprit alors que je buvais ma tasse de café pour me redonner contenance pour la nuit qui s’annonçait être très longue. Il était déjà un peu plus de minuit, mais tout portait à croire que le village était bien réveillé en ce samedi soir. J’aimais beaucoup mon travail que je ne pratiquais que depuis deux ans, et mon assiduité me fit monter vite en grade. J’aurais aimé que l’histoire de ma vie soit aussi attrayante que celle de ma vie professionnelle, mais la réalité des choses était tout autre.
A ma dernière année de médecine, alors que j’effectuais un stage dans la clinique universitaire, je m’étais fait agressée et…violé. Je n’avais que vingt ans, et je venais de voir ma vie éclater en plusieurs morceaux, emportant au passage mes rêve d’enfant, mes désirs le plus profond comme le vent emporte une trainé de poudre. Je n’étais plus rien, mes parents avaient eu honte de moi, ceux que je croyais être mes amis m’avait abandonné et mon petit ami m’avait rejeté. Ma vie était devenue pire que l’enfer et je frôlais le suicide.
De chez moi, je ne sortais plus, je ne mangeais plus, je ne parlais plus. La douleur me rongeait, me submergeait tellement, que la douleur physique ne m’atteignait plus. C’était d’ailleurs la seule chose qui me permettait de savoir que je vivais encore.
Un soir, alors que j’étais au plus bas, une fille est venue me voir, une fille que je saluais tous les jours à mon campus. Son visage candide divergeait tellement avec le déchet que j’étais devenue. Je voyais en elle l’innocence que j’avais jadis, qu’un inconnu s’était permit de me retirer un peu trop prématurément à mon gout. J’ai fait ce dont j’étais le plus apte à faire, j’ai refoulé ma colère sur elle mais elle est restée. J’aurais aimé lui assener des coups, mais j’étais devenue trop frêle pour esquisser quelconque mouvement, et les nombreuses blessures que j’avais ne cessait de me lanciner. Malgré tous les mauvais traitements, les insultes, elle est restée et m’a apporté quelque chose de très précieux, que mes parents n’ont pas su me donner, elle m’a apporté son soutien inconditionnel et m’a redonné un brin d’espoirs, qu’un semblant de vie était possible contre vents et marées. Elle m’a aidé avec mes cours, et même si j’ai raté mon année, elle n’a pas une seule fois arrêté de me soutenir, alors que je m’étais enveloppé dans le mutisme et ce, inconditionnellement.
Je pouvais avec aisance parler pendant des heures d’une maladie quelconque grâce à mes connaissances élevées en science, mais j’étais incapable de soigner les maux qui me rongeait l’âme. Quoi que sa présence fut été très réconfortant a certaine mesure, rien n’avait changé. J’étais toujours cette loque humaine et je restais toujours dans ma chambre plongé dans l’obscurité, à écouter Eloïse me lire des livres d’histoire ou d’art, un peu comme on le fait pour les enfants en manque de sommeil. Ça apaisait mon esprit tourmenté et malmené.
Un soir, un an après « l’accident », alors que je sillonnais la maison dans laquelle j’avais grandi tel le fantôme que j’étais devenue, celui qui était autre fois mon antre de paix, l’endroit qui m’apportait amour et protection, je surpris une discussion qui encore une fois, me terra sous terre alors que me croyais à jamais immuniser contre la douleur émotionnelle. Mes parents, les êtres qui m’avaient donné la vie, ceux qui étaient censé m’aimer, me protéger, et me défendre envers et contre tout, s’étaient ligué contre moi. Ils pensaient me mettre dans un centre, soit se débarrasser de moi tel un boulet. J’avais pleuré tous les larmes de mon corps, comme je ne l’avais jamais fait auparavant, plus que ce fameux soir ou tout avait basculé dans ma vie. Et ce soir-là, j’ai pris une décision, et je savais que c’était la bonne. J’ai pris un sac, ou j’y introduisis le strict nécessaire, puis m’en alla, dans l’obscurité de la nuit, sous une pluie battante et un vent effroyable. Ce chaos représentait mon état d’âme.
Après une longue marche à m’en arracher les talons, j’atterris devant une bâtisse a des kilomètres de chez moi, ayant marché toute la nuit. Je n’avais rien, même pas un petit billet pour m’acheter une bouteille d’eau. Voilà comment à vingt-deux ans, j’étais devenue un SDF déprimé sans un sou en poche. Mais encore une fois, elle était là. Eloïse est venue me retrouver, et m’a une fois de plus soutenue. Elle m’a trouvé un boulot dans un petit restaurant ou ils acceptaient de me loger. Je gagnais peu, mais ça me permettait de survivre. C’était un nouveau départ pour moi, comme le disait Eloïse un sourire fendant ses lèvres joliment sculpter.
J’avais changé d’apparence, tronquer ma longue chevelure rousse contre une coupe d’un noire de jais. J’y suis resté pendant longtemps dans ce restaurant, près d’un an, jusqu’à ce qu’un jour, aux informations, on montre un petit village dans le nord qui tenait un centre hospitalier. Dans ce village, il n’y avait qu’un seul centre et ils manquaient de personnel spécialisé. Des enfants mourraient et les cas s’amplifiaient. Je n’étais peut-être pas devenue ce grand médecin que j’espérais, mais comme une certitude, une voix sourde me disait qu’ils avaient besoin de moi, je le savais.  Avec l’aide d’Eloïse et du peu d’économies que j’avais, je pris le large en direction de Norway. Voilà comment je m’y suis retrouvé à essayer tant bien que mal à me reconstruire, à essayer de me réveiller du cauchemar qu’étais devenue ma vie.

La Maladie d'amourWhere stories live. Discover now