La fanfic, un truc de victime ? Que nenni.

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La fanfiction souffre des mêmes préjugés que jadis le roman en son temps. Pourquoi ? Parce qu'elle ne possède ni théorisation, ni manifeste, ni institution officielle pour la défendre. Pour son plus grand bonheur, la fanfic se déploie dans un terrain de jeu aussi immense qu'il est sans limites : l'internet (non mais elle écrit « l'internet » comme les vieux lololol, pourquoi pas LE google tant qu'on y est). Tout comme le roman, la fanfiction est elle aussi un « genre bâtard (1) ». Elle n'impose aucune contrainte et accueille auteurs en herbe (majoritaires) et confirmés (plus rares). Pourquoi encore cette stigmatisation ? Parce que la fanfiction est écrite en majorité par des femmes, dont une bonne partie est jeune, anonyme et ne revendiquant pas un background académique ou éditorial. Or, ces attaques à l'époque moderne ne datent pas d'hier. Comme l'écrit Béatrice Slama, « Pour une femme, écrire a toujours été subversif : elle sort ainsi de la condition qui lui est faite et entre comme par effraction dans un domaine qui lui est interdit. (2) » Charlotte Smith, Eliza Parsons, Frances Burney, Ann Radcliffe ou encore Jane Austen ont pris cher dans l'Angleterre de la Régence, comme en témoignent les remarques acerbes du personnage de John Thorpe dans Northanger Abbey. Les femmes qui se targuent d'écrire de la fiction ou de publier dans la presse sont désignées sous le sobriquet de « bas bleu », c'est-à-dire des hommes manqués, dont l'absence de virilité empêche un talent véritable. Le lectorat de la fanfiction est lui aussi sujet à moqueries : des femmes, de l'ado, du geek, bref toute une catégorie de population encore régulièrement moquée dans les médias mainstream sinon soumise à tout un paquet de préjugés. Bref, tout ce qui peut s'apparenter à du chicklit (littérature pour filles) est dénigré.

Enfin, le sujet principal de ces fanfics écrites et lues par des filles, ce sont aussi des nanas, et ça, ça fait grincer des ratiches. Des femmes souvent guerrières, dotées de pouvoirs, ou bien timides comme un bernard-l'hermite mais qui ont toujours un quelque chose à sortir au moment voulu. Bref, ces nanas sont souvent intégrées à des scénarios qui ne prévoyaient aucune femme comme personnage-clé, car leurs auteurs masculins n'en avaient ressenti ni la nécessité ni l'envie (merci Arthur Conan Doyle). Ou alors, le personnage féminin était secondaire, kikinou à mort (coucou Arwen et Lúthien chez Tolkien) ou alors encore plus maléfique que Nadine Morano (coucou la Cagliostro de Maurice Leblanc).

En outre, contrairement au monde impitoyable de l'édition, le monde de la fanfiction apparaît non seulement comme un espace participatif (les lecteurs sont ainsi invités à voter pour leur chapitre préféré ou à donner leur avis sur un personnage) mais également collaboratif : il n'est pas rare par exemple de voir un récit illustré par un fanart (un montage ou une réalisation artistique d'un.e autre internaute) ou traduit par un autre auteur.ice afin de le faire découvrir aux membres de sa communauté linguistique. Des défis d'écriture sont régulièrement organisés entre auteurs mais aussi par les modérateurs des plate-formes : one-shot(histoire tenant en un seul chapitre), écritures thématiques selon le calendrier, contraintes diverses (drabbles, c'est-à-dire le fait de ne disposer que d'un certain nombre de mots), tout est fait pour mettre à l'épreuve la créativité des auteur.ice.s(3). Tout à l'heure, j'évoquais non sans malice la qualité douteuse de nombreuses fanfics. Or, ne s'arrêter qu'aux maladresses, c'est manquer l'essence même du processus de la fanfiction : un espace d'apprentissage et de libre pratique, où la recherche de la performance n'est ni une obligation, ni un prisme de lecture. Nombre d'auteur.ice.s décident ainsi de conserver leurs premières fanfics ou de ne pas les réécrire afin de respecter cette posture d'apprenant.


Notes de bas de page:

[1] Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1988.

[2] Béatrice Slama. « De la « littérature féminine » à « l'écrire-femme » : différence et institution » in Littérature, n°44, 1981 (numéro thématique : L'institution littéraire II), p. 51.

[3] Le site français hpfanfiction consacré au monde de J. K. Rowling est à ce titre un exemple réussi d'émulation collective à travers ses différents projets d'écriture.

« La fanfiction sauvera-t-elle le monde ? »Where stories live. Discover now