Du fantasme à gogo, mais pas que.

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Alors que retrouve-t-on dans la fanfic ? Disons-le franchement, beaucoup de cul. Selon les récits et l'audace de l'auteur.ice, on navigue entre la collection Harlequin et un samedi soir chez Bukowski. Vous faisiez des blagues salaces à la cour de récré sur le trop grand intérêt que portait Severus pour le petit Harry en cours de potion, ou bien vous lanciez en pouffant un « Et si ... ? » sur Edward Cullen et Jacob Black de Twilight ? Certains n'en sont pas restés au commentaire et en ont fait des histoires très complètes, avec force détails qu'il n'est pas bon de chuchoter auprès de toutes les oreilles.

Est-ce que c'est l'anonymat que fournit le web ? Le fait que sans déformation professionnelle, qu'elle soit universitaire ou éditoriale, l'auteur.ice n'ait pas de tabous ? L'absence de censure sur internet ? Quoi qu'il en soit, la trilogie d'Emmanuelle peut renfiler son slip en rougissant face aux ébats de Legolas et Gimli, car l'expression « Communauté de l'anneau » prend ici un sens radicalement différent que la pudeur nous empêche de développer plus avant. Deux types de romance caractérisent la plupart de ces récits : le het (histoire d'amour entre deux personnages de sexe et/ou d'espèce différente), et le slash (histoire d'amour entre deux personnages de même sexe et/ou d'espèce identique, qui regroupent les récits yaoi et yuri). Les couples les plus prisés possèdent même leur propre acronyme : Dramione (Drago-Hermione), Gimlas (Gimli-Legolas), Watlock (Watson-Sherlock), Narusasu (Naruto-Sasuke), etc. Bref, tout un programme. L'objectif érotique voire pornographique des récits est d'ailleurs souvent explicitement annoncé par des mots-clés signalant la sous-catégorie, ou un avertissement donné au préalable au lecteur. On retiendra notamment le registre guimauve, qui comme son nom l'indique est cucul-la-praline, et a contrario les styles lime et lemon, qui se veulent beaucoup plus crus. Pour ma part, je suis étonnée que dans une société occidentale hypersexualisée, la présence d'éléments érotiques dans les fanfics surprennent et choquent. Après tout, c'est de la fiction qui ne cherche ni à faire la leçon ni à revendiquer un mode de vie, n'en déplaise à tous les jurys bien établis qui ont récompensé des torchons réellement douteux comme ceux de Gabriel Matzneff (1) ou de Frédéric Mitterrand (2).

Par ailleurs, la fanfic c'est aussi une omniprésence du fantastique. En dépit du climat actuel pro-vegan, le monde de la fanction fait la part belle aux vampires, aux loups-garous, et de manière plus fantasy, aux dragons, aux elfes et aux créatures hybrides. Les récits ressuscitent tout un bestiaire à la fois populaire et mythologique, interrogeant de manière rafraîchissante notre rapport au mythe. Dans une société moderne faisant la promotion de la rationnalité et où la science est la nouvelle religion, il est en effet curieux de constater un engouement toujours intact pour le merveilleux. Enfin, la fanfiction utilise à outrance des procédés littéraires relevant du roman-feuilleton populaire, lui aussi considéré à son époque (le XIXème siècle)  comme un sous-genre littéraire : l'epiphanic moment, la scène de reconnaissance, les péripéties à rallonge, le twist, etc. Par ailleurs, parce qu'il publie souvent sa fanfic chapitre par chapitre en prenant en compte l'attente de son audience, l'auteur.ice de fanfic se rapproche en cela du feuilletoniste. Ainsi, en tant que réceptacle de fantasmes, de tabous mais aussi laboratoire d'idées faisant fi des conventions littéraires classiques, la fanfiction constitue de ce fait une catharsis mais également une tentative d'émancipation.


Notes de bas de page :

[1] À ce sujet, voir Nelly Wolf, « Le roman pédophile, Sur un roman de Gabriel Matzneff », in Proses du monde. Les enjeux sociaux des styles littéraires, Paris, P.U. du Septentrion, 2014.

[2] À ce sujet, voir cet article dans Libération, « Mitterrand visé pour ses écrits sur le tourisme sexuel », 7 octobre 2009.


« La fanfiction sauvera-t-elle le monde ? »Where stories live. Discover now