Chapitre 3 : Une folle instable et une chevalière.

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Bella, vacances d'été avant la rentrée :

        Il est une heure du matin et cela doit bien faire deux heures que je déambule sans but dans les rues de Pasadena. Je vois les beaux quartiers d'ici. Ils ont l'air si flamboyant, si parfait. Pourtant, je sais mieux que quiconque que derrière les rideaux leur vie n'est pas plus parfaite que la mienne, mais je ne peux m'empêcher de rêver. Rêver qu'un jour moi aussi, j'aurais le droit à ce portail en fer forgé et cette chambre avec un lit paré de soie. J'ose croire qu'un jour, je pourrais porter une de ses robes de chambre cousues avec du fil d'or.

        Le paysage qui s'offre à moi, du haut de ma petite colline, me donne envie de sauter. J'aimerais bien avoir pour dernier souvenir les lumières scintillantes et l'odeur de lavande. Je clos mes yeux, je sais que je ne vais pas le faire. Je sais que je dois retourner chez moi. Je sais que j'ai des responsabilités et je sais que je ne peux pas être aussi égoïste, je n'en ai pas le droit.

        Ce soir n'a pas été beaucoup plus différent que tout ceux depuis le début des vacances, mais ce soir fut probablement celui de trop. Ça a commencé comme d'habitude : finir le travail, aller chercher les petits chez la nounou, rentrer pour faire à manger et les mettre au lit. Néanmoins, ce soir, en rentrant du travail, j'ai su que je ne pourrais pas y retourner le lendemain – coupe budgétaire apparemment, il me semble que c'est plus parce que j'ai refusé les avances salaces du patron. Ce soir, en rentrant, j'ai appris que la nounou augmenterait. Ce soir, j'ai constaté qu'il nous restait trois paquets de pâtes. Ce soir, j'ai pleuré.

        Je ne voulais plus y penser. Dès que Papa est rentré, je suis partie, pas qu'on se croise quotidiennement, mais généralement, on se dit au moins bonjour. J'ai donc pris mes vieilles chaussures, mon manteau usé par le temps, et je me suis enfui. J'ai d'abord couru, pour mettre le plus de distance entre moi et la maison, comme si mes problèmes allaient rester là-bas. J'ai bifurqué dans des dizaines de rues ; des rues que je connais malgré moi par cœur. Et maintenant que j'ai atteint le point culminant du quartier, je ne vais toujours pas mieux. Pourquoi j'irais mieux ? Courir ne résoudra pas mes problèmes, courir ne m'empêchera pas de devoir rentrer pour être sûr que tout le monde est au lit. Courir n'annulera pas le fait qu'il me faut trouver un nouveau travail. Courir n'effacera pas le fait que je dois payer la nourrice demain. Courir n'effacera rien.

        Fatiguée de devoir me battre contre mon esprit épuisé, je fais demi-tour. J'ai parcouru une bonne distance, mais ma cadence effrénée me conduira jusqu'à chez moi en un rien de temps. Je suis toujours dynamique, sur le qui-vive, jamais au repos et toujours en train de penser aux scénarios catastrophe qui pourrait arriver si je me repose ne serait-ce que 10 minutes. Parfois, je repense au tournant qu'a prit mon existence en quelques années et je regrette ne pas pouvoir stopper le temps et ne jamais reprendre le cour de ma vie.

        J'arrive plus vite que je ne le pensais dans ma rue, mon esprit est encore embrumé par mes idées noires et afficher mon masque joyeux me paraît impossible pour le moment.

        Alors que je cherche activement mes clés dans les poches trouées de mon manteau, je suis agressée par une lumière qui m'atterrit en plein dans les yeux. Le bras qui tient le téléphone avec le flash allumé s'agite de manière frénétique et m'aveugle de plus en plus. Ma tête se tourne sur la gauche et mon bras part à la recherche d'un moyen de faire cesser le malotru. J'attrape ainsi au bout de quelques seconde un poignet et tire vivement dessus pour écarter au plus vite la lumière blanche de mon visage. J'entends une plainte étouffée et des sanglots.

         Mes iris se plantent instantanément dans deux prunelles brunes et je suis captivée. Les larmes coulent à flots sur les joues de la jeune femme qui me fait face, mais je ne peux rien dire. J'ai la gorge nouée et les mains tremblantes. Au bout d'une ou deux minutes, l'étreinte de ma poigne s'adoucit et je finis par lâcher prudemment le poignet de la demoiselle, nos regards toujours encrés l'un dans l'autre. Le temps semble se figer.

        Ce moment extraordinaire prend fin une trentaines de secondes plus tard et je constate avec effarement que les larmes qui s'échouaient avant dans le cou de la fille devant moi se sont tari. Elle baisse toutefois rapidement son visage, comme gênée et anxieuse du fait que je l'ai vu dans un état pareil.

- Désolé, me murmure-t-elle d'une voix écorchée.

         Mon corps semble reprendre vie à cet instant et je ne peux retenir le sourire qui barre mon visage. Son apparence si douce me percute de plein fouet et mon cœur brûle de rage rien qu'en pensant à la personne qui a pu la rendre si vulnérable. Malgré tout, je ne souhaite que la rassurer. Mais elle me devance, et mes paroles se meurent rapidement dans la nuit noire.

- Je suis désolé, je suis juste perdue. Je sais pas où aller et je viens de me prendre la tête avec mon copain, je sais pas quoi faire. Je-

        Elle débite ces phrases à une vitesse affolante, et si je n'avais pas suivi avec minutie le mouvement de ses lèvres, j'aurais très probablement perdu le fil après le second mot prononcé. La phrase qu'elle s'apprêtait à dire est brusquement interrompue par une nouvelle vague de sanglots. Mon corps, qui semble s'être mis sur mode automatique, se déplace sans mon consentement et fini par l'enlacer avec délicatesse, ne voulant pour rien au monde l'effrayer. Son visage se retrouve dans mon cou et ses torrents de larmes terminent leur course sur mon t-shirt pourpre. Nos âmes semblent fusionner et mes yeux se mettent eux aussi à délivrer des perles salvatrices.

        Notre étreinte se poursuit pendant bien cinq minutes avant qu'elle ne commence à se défaire de mon emprise et se passe durement les mains sur le visage, comme pour se punir d'avoir été aussi fragile face à moi, une inconnue.

- Désolé, elle se reprend-t-elle promptement.

         Elle passe ses paumes sur ses vêtements pour se redonner une contenance avant d'éteindre le flash de son téléphone qui était resté jusqu'ici allumé. Ses orbes aux reflets dorés se plantent dans les miennes, seulement une détermination nouvelle y est fiché. Bien que fascinée par son regard, je me rappelle soudain la raison de son affolement premier, je prends la parole d'un ton tendre.

- Je peux t'accompagner jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche, je doute qu'il y ai beaucoup de passage, mais ça vaut le coup de tenter.

- Prend pas cette peine, explique moi juste je trouverais bien, semble-t-elle se résigner.

- J'ai pas très envie de rentrer chez moi, crois moi ça m'arrange, lui confiai-je à demi-mot.

- Je te suis alors, dit-elle avec une moue satisfaite.

         Le chemin jusqu'à l'arrêt de bus débute dans un silence gênant, le moment irréel que nous avons partagé encore dans nos esprits. Dans un espoir vain, je tente d'en savoir un peu plus sur le personnage qui se tient à mes côtés.

- Sinon, m'exprimai-je la voix chevrotante d'appréhension, je dois t'appeler comment quand je raconterais à mes amis l'histoire de la jeune femme perdue que j'ai dû accompagner prendre le bus, dans la nuit noire à ..., je regarde dans un mouvement réflexe ma montre, 22h45 ?

         J'essaie vainement de dédramatiser la situation. Au vu de l'état dans lequel elle m'est apparu, sa « prise de tête » devait plus être de l'ordre du conflit que de la simple embrouille bénigne.

         Sa bouille rougie se détourne du bitume et elle s'arrête, une main tendue dans ma direction. J'ai la sensation que si je touche sa peau, je vais m'enflammer. Je barricade donc mes émotions et tend ma main également, un rictus affectueux pendu aux lèvres.

- Elena. Tu leur diras que la folle instable et en pleures qui t'as fait perdre approximativement deux points à chaque œil à cause de son flash à la con s'appelait Elena. Par contre, je ne sais pas encore quel nom je donnerais à la chevalière qui m'a glorieusement raccompagner jusqu'à mon carrosse lorsque je conterais mon aventure à mes amis..., sa voix traînante m'indique que c'est à moi de dévoiler mon patronyme.

- Bella, je pense que tu pourras l'appeler Bella.

          Sur ces paroles, nous ne pouvons nous contenir et deux grands sourires habillent désormais nos visages respectifs. N'oubliant pas nos mains tendues, nous échangeons une poignée de mains à l'apparence formelle. La poignée dure quelques secondes à peine et notre marche reprend tranquillement. Nos esprits paraissent momentanément anesthésiés et nos rires raisonnent joyeusement entre les bâtisses délabrées de mon quartier. 

In Love With A GangsterWhere stories live. Discover now