─ hypersensitivity ❀

5.1K 504 791
                                    

Les senteurs des fleurs, des arbustes, des pins, des chênes m'assaillent une fois que je m'immerge un peu plus dans le parc. J'imagine ce qui m'entoure, me force à me rappeler ce paysage qui a tant bercé mes après-midis, et les journées à bronzer au soleil en été aux côtés de Namjoon qui posait toujours sa tête sur mes cuisses pendant que j'observais d'un air rêveur les nuages qui flottaient au-dessus de nous.

Ça me rend triste quelquefois quand je tente de penser à quoi ressemble maintenant ce qui se trouve tout autour de moi, alors que je l'ai déjà côtoyé. Les parterres de fleurs aux couleurs extraordinaires, les arbres colorés en automne et complètement nus en hiver, les lampadaires qui bordent les allées. Les bâtiments anciens, les temples de couleur bordeaux, les ponts en pierre grise. Tout ce qui fait de ce parc ce qu'il est me manque.

C'est dur d'avancer parmi tout ça, parmi mes souvenirs à la fois lointains et inexistants, de sentir ma canne s'enfoncer dans un petit trou dans le sol pavé auquel je n'avais pas besoin de faire attention avant. Mais il faut avancer malgré tout ça. Mettre un pied devant l'autre et avancer. Je peux trébucher, mais je ne peux plus me permettre de tomber.

— Mais c'est pas mon aveugle préféré ?

Une voix douce et rieuse retentit depuis ma droite, cette voix que je sais reconnaître grâce à son ton délicat et mélodieux.

— Tu en côtoies beaucoup toi des aveugles ?

Je réponds en avançant vers lui et laisse ma canne buter contre le léger trottoir de pierre qui sépare l'allée des jardins.

— Tu es le seul, et même si d'autres voudraient devenir mes amis, je dirais que non, je ne peux pas. Mon cœur est déjà à quelqu'un.

Mon fessier se pose sur le banc où il est installé, puis je plie ma canne et relève une de mes jambes pour la poser à plat sur l'autre, histoire qu'elle fasse un angle droit dans le vide. Mes mains se posent dessus d'un air presque solennel et impérieux, puis je reste ainsi à admirer l'espace sombre infini qui file devant mes yeux.

Aucun de nous ne parle pendant les secondes qui suivent, laissant planer ce silence paisible et reposant autour de nous. Au loin, on peut percevoir des cris joyeux venant des enfants qui observent sûrement le zoo présent plus loin.

— Je l'ai vu, le zoo, me confie-t-il au bout d'un moment.

— Et ?

— C'est triste et dépressif.

— Tu comprends pourquoi je suis accro à mes yeux, maintenant.

Il a un petit rire comme ceux des enfants, paisible et joyeux.

— Ça ne te manque pas, de voir le monde ?

— Est-ce que je dois répondre sincèrement ?

— C'est mieux.

Un lourd soupir traverse mes lèvres, puis je hausse les épaules, les pupilles toujours figées vers l'horizon.

— Je n'ai pas envie de me mettre à chialer en me roulant en boule contre le sol pour te dire que ma vue me manque. Bien sûr qu'elle me manque. Mais c'est comme ça. Je me réjouis au moins d'avoir perdu seulement ça pendant que d'autres ont perdu la vie.

— Tu sais que tu as le droit d'être en colère ? Tu as le droit de pleurer, d'être triste de péter les plombs, et d'en vouloir à la terre entière, même si tu penses que ta douleur est infime par rapport à celle d'un autre. On ressent tous la douleur sous des formes différentes et à des intensités variées. Ne te prive pas de ressentir cette tristesse qui t'appartient de manière légitime, au risque de la garder enfouit au fond de toi pour qu'elle finisse par te faire exploser.

Éros » taegguk - [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant