5 - LA PERSONNE IDÉALE

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Léo

AUJOURD'HUI

— Léone Sylvano Roméo Este ! Crie mon grand-père, prenant le soin d'articuler sur chaque syllabe et ouvrant la porte dans un grand fracas, à croire qu'il en a fait sauter les charnières.

J'en connais un qui ne doit pas être très content, pour citer mon nom complet. Et pourtant, je n'ai rien fait. Du moins, je suppose. J'ai vingt-quatre ans, bon sang. Je sais que j'agis comme un gosse, mais ce n'est pas une raison pour me considérer comme tel. J'ai de comptes à rendre à personne.

Souris. Sois poli.

— Bonjour, Luigi. Un café, peut-être ?

Je connais déjà sa réponse pour l'avoir appelé ainsi : « Petit insolent ! ». Question d'habitude.

Ma corde à sauter ne cesse de frapper le sol. Je sautille face à ce bonhomme barbu au costard cravate impeccable alors que nous sommes en plein tournoi sportif, et j'y prends un malin plaisir, je l'avoue.

— Petit insolent ! Me surprend-il d'une voix bien plus calme que ce que j'aurais pu croire. Je ne te permets guère de m'appeler ainsi. Tu me dégoûtes, voilà tout ce que tu sais faire depuis que tu es né. Un véritable incapable. (il marque une pause, l'air de... se ressaisir ?). Bref. Passons.

Je vous présente mon bien aimable grand-père. Ahh... Ce que la méchanceté gratuite de cet homme m'avait -pas- manquée. Cependant, il n'a pas haussé la voix comme il a l'habitude de le faire. Il s'est contenté de passer à autre chose. C'est étrange de sa part. Il est plutôt du genre monsieur-je-traite-tout-le-monde-pour-un-oui-ou-pour-un-non. C'est trop gentil de sa part.. Je le sens mal. Très très mal.

— Je réitère ma question, si vous me le permettez, dis-je en soufflant pour ne pas m'épuiser. Je ne fais qu'être poli. Souhaitez-vous un café ?

— Je ne bois plus de café depuis avant même ta naissance, pauvre id.. (Il n'achève pas sa phrase et détaille l'ensemble de mon corps. Ses yeux restent rivés à la fine corde en plastique, qui tourne en boucle autour de moi). Arrête donc de sauter comme un kangourou et viens t'asseoir, je te prie. On doit parler de choses sérieuses. Tu penses en être capable ?

Voilà. Je me disais bien. Il y a quelque chose. Est-ce que c'est le moment où le héro choisi de prendre la fuite, dans les livres ? Ou celui où il lui met son poing dans la figure ? Bon, essayons. L'affront. J'ai choisi l'affront. Je peux lui tenir tête encore un peu. Avec des mots. C'est possible. Je suis un adulte.

— J'en suis capable, en effet, réponds-je en me stoppant de toute action.

Je m'approche du canapé en velours du fond de la salle dans lequel il s'est installé. Je veille à maintenir une distance de sécurité avec lui, d'au moins un mètre. Deux quand c'est possible. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer quand Luigi Sylvano Este est en colère. Je ne voudrais pas perdre ma deuxième main dans une dispute, j'en ai bien assez comme ça.

L'assise s'affaisse légèrement sous mon poids, je reste sur le bord, prêt à bondir si nécessaire. Ou tout simplement prêt à prendre la fuite. Ça peut paraître lâche, mais quelques fois, nous n'avons d'autre choix.

— Que puis-je faire pour vous, grand-père ? Vous ai-je causé du tort ?

Il a beau être irrespectueux avec moi et j'ai beau être odieux avec lui, je suis assez intelligent pour savoir qu'on doit le respect à tout le monde. Même aux personnes que l'on n'apprécie pas. C'est malheureux, mais c'est ainsi. Ma mère m'a bien éduqué, et j'ai décidé de rester dans cette lignée. J'ai été éduqué à la Este, tout comme lui, sauf qu'il a choisi de n'en faire qu'à sa tête. Les seules choses qui comptent pour lui sont très simples : l'argent, l'argent et l'argent. Oh, et l'argent. Attendez...vous ai-je dit aussi, l'argent ?

Le soleil dans ses yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant