La prise de conscience

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CHAPITRE II

Une fois, il l'avait aperçu à la gare en compagnie d'un homme. Peut-être avait-il rêvé. Il ne savait plus. Il avait à peine eut le temps de remarquer sa présence que sa silhouette s'éloignait au loin, dans un train à destination inconnue. Ce jour là, elle était avec un homme. Un bel homme. Plus carré, plus charismatique, plus tout. Ça l'avait remué, alors il avait appelé Kanna et elle l'avait réconforté. C'était il y a trois semaines.

Il avait décidé, ce jour-là, de se protéger un peu plus de la tempête qu'était Juvia. Alors il l'oublia. Elle et ses articles. Elle et les pizzas de sa Nonna. Elle et son charme. Maintenant, il l'avait temporairement oublié. Il travaillait encore plus et d'une certaine manière, ça le détendait. Il appréciait sa vie sans elle. Il s'en délectait. Il y trouvait un bonheur unique d'une vie stable, sans remous.

La période Juvia avait laissé place aux passagères.

L'été était arrivé, sa chaleur étouffante avec. Dans son petit appartement, il avait un seul et vieux ventilateur. Souvent il s'installait sur son canapé, les pieds sur la table basse, un magazine en main et le ventilateur à hauteur de ses pieds. Il avait envie de se mettre nu tant la chaleur le faisait transpirer. En fond, une mélodie orchestrale plongeait la pièce dans une ambiance apaisée. Il la connaissait par cœur, de la partie des violons à celle des baritons. Les notes vibraient dans son esprit avant même qu'elles soient jouées. C'était le seul vinyle en sa possession, que son grand-père lui avait légué. Il adorait le vieux son qui en sortait mais à force, la mélodie devenait pesante.

Il n'avait rien à faire, semaine de congé. Alors il se décida, il irait acheter de nouveaux vinyles. Pas des neufs. Des occasions, des collectors. Des vrais. Il s'habilla très légèrement et sortit ses lunettes de soleil. Il avait pris sur son épaule un sac vert où était cousu des poussins jaunes. Ça lui donnait un air de clown. Mais il tenait à ce cadeau. Il venait de sa sœur Ultia, sans qui il ne survivait pas.

Dans les rues, il longeait les murs pour leur fraîcheur et l'ombre qu'ils faisaient. Elles étaient bondées de touristes et de passants bruyants. Son pas s'arrêta finalement devant la boutique Music Store. Réputée pour vendre de bons morceaux, pas chers. Grey entra et fut assaillit par l'odeur de vieux et de poussière qui y régnait. La chaleur était presque aussi accablante qu'à l'extérieur. Une petite grimace se forma sur ses lèvres.

Il salua le vieil homme derrière son comptoir qui avait le même vieux ventilateur que chez lui. Il s'intéressa aux quarante cinq tours dans la partie Classique. Une petite odeur de fleur d'oranger y traînait aussi, une odeur qui le prit aux tripes. Il releva le visage. Juvia Lockser était là. Avec cet homme, le même homme de la gare qu'il avait aperçu il y a de cela quelques semaines. Ils regardaient les disques ensemble. Côte à côte, le sourire aux lèvres.

Un poids tomba sur son ventre. Ça n'était pas un poids agréable. C'était lourd, handicapant. Il pensa à Juvia. Il pensa que c'était anormale qu'elle traine avec le même homme aussi longtemps. Puis il détourna le regard. Grey regarda dans la partie Classique. Il adorait le classique et essayait de chasser cette image de son esprit. Comme elle, lorsqu'ils n'étaient pas amants elle voyait des passagers. Rationnel, naturel et nécessaire. Mais lui, il n'allait pas au disquaire avec une passagère, ça jamais. Ça voulait dire trop de choses. Juvia s'approcha de lui et lui fit un sourire. Un beau et charmant sourire. Son œil fut attiré par une pochette rouge où des notes de musique étaient incrustées.

– Il est gentil ? Demanda-t-il. Il n'y avait aucun reproche dans sa voix neutre, une simple curiosité.

– Oui. Répondit-elle. Pas trop curieux. Pas trop emmerdant. La jeune femme reposa le vinyle qu'elle tenait dans la main avec les autres.

En soit, pas lui. Il comprit que Juvia avait laissé la période Grey au placard. Alors il abdiqua.

– Tant mieux. Dit-il en s'emparant d'un autre vinyle au hasard. Il alla le payer.

Il était rentré chez lui en pensant au Classique. Puis il avait écouté son nouvel achat la soirée durant. Il pensa que de nouveau, il allait connaître une mélodie sur le bout des doigts. Et que peut-être d'ici deux mois il irait en débusquer une nouvelle. Après, il pensa à la femme. C'était sûrement fini. Ce qu'il ressentait semblait absurde. Ça se rapprochait de la jalousie. Il ne connaissait pas la jalousie. Ça lui était étranger jusqu'alors.

Et puis sa grande sœur lui avait expliqué. C'était l'amour. L'amour avec un grand A. L'amour dévastateur, celui qui te fait vivre et qui te tue à la fois. Le mauvais sûrement.
Ultia adorait Juvia, elles avaient discuté quelques fois. De littérature et de cinéma. Il comprit qu'Ultia avait saisi l'identité de la personne concernée. Il s'en fichait. Il ne la reverrai plus.

Il ne voulait pas réaliser, c'était inepte. Alors tous les soirs, il sortait avec une différente passagère. Il évitait consciencieusement le numéro de la passagère. Ce soir-là, c'était Mary qui était venue. Belle et séduisante malgré la trop grande chaleur du dehors. Ils s'étaient sourit avant de s'aimer. Corps contre corps. Il adorait les petits gémissements qui sortaient d'entre ses lèvres, il aimait son nom chuchoté à son oreille. Si bien qu'il n'entendit pas la porte s'ouvrir puis les pas de la femme résonner dans le couloir étroit de son appartement.

C'est lorsque la jouissance l'assommait qu'il
croisa son regard. Bleu. Profond. Hypnotisant. Il se demanda si il ne rêvait pas. Elle était restée quelques secondes immobile, devant lui. Elle le regardait, elle regardait l'autre femme sur lui. Elle regardait le mouvement de leurs corps. Puis elle s'en était allée. Les yeux piquants.

Il courut quelques mètres en bas de sa rue pour la rattraper. Mais elle avait disparu, elle s'était évaporée. Alors il remonta et une nouvelle fois, aima Mary.

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Le prochain chapitre est le dernier!

Les passagers Where stories live. Discover now