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Je descendis dans ma chambre et rejoignis le salon où ma sœur regardait la télévision tandis que notre père travaillait sur son ordinateur portable, sur la table à manger. Même s'il était distant depuis ma dernière escapade chez Luc, je le rejoignis et passa une main sur son dos pour l'interpeller.

– Papa, tu as deux minutes ?

Il leva les yeux vers moi et leva ses lunettes sur sa tête avant de se frotter les yeux. Il semblait épuisé, mais j'allais faire court.

– Avec plaisir, ce tableau Excel me donne le tournis ! soupira-t-il en fermant son ordinateur.

J'esquissai un sourire et me tordis les mains, mal à l'aise.

– As-tu consulté tes mails perso dans le dernier quart d'heure ? demandai-je alors timidement.

Il fronça les sourcils et s'étira un instant.

– Non, pourquoi ?

– J'ai reçu le mail de Triballat pour le rendez-vous avec... avec l'autre victime.

Je lorgnai vers ma sœur qui semblait absorbée par la télévision. Le son était suffisamment fort pour qu'elle ne puisse pas entendre notre conversation et je soupirai de soulagement.

– Quand est-ce ?

– Le trente. A 14h30.

Il resta silencieux un instant, m'observant avec attention. Il devait se douter que j'aurai souhaité y aller avec Luc, pour l'assurance de pouvoir fondre dans les bras de quelqu'un à la fin de la séance. Mais il ne pourrait pas être là, ce jour-là, pas plus que je ne pourrais aller le voir le soir-même, son concours lui prendrait tout le week-end, avec la remises des prix, le buffet pour les candidats, etc. Je ne savais pas ce que j'allais trouver, là-bas, aussi, j'étais inquiète à l'idée de dormir seule.

– Souhaites-tu que je t'y accompagne ? me demanda-t-il.

– Je veux bien. Je te demanderais juste de... de ne pas y assister, suppliai-je. Ce serait mieux que Manon et moi soyons seules pour... échanger.

Il hocha la tête avec compréhension et attrapa ma main avant de m'en presser les doigts. Son visage afficha un air consterné et mon cœur eut un raté.

– Je sais que nous n'avons pas beaucoup échangé depuis quelque temps, par rapport à ce rendez-vous. Tu ne me parles pas tellement de ça et, j'ai beau attendre, tu ne viens jamais te confier à moi alors ce soir, j'aimerais que tu me dises comment tu appréhendes cette réunion.

Je haussai les épaules en pinçant les lèvres. Si je n'avais pas beaucoup échangé avec lui, c'était parce que le rendez-vous était encore abstrait, tant qu'il n'était pas réellement figé. A présent qu'il l'était, j'étais anxieuse, je devais le reconnaitre.

– Je me demande encore si j'ai pris la bonne décision, soufflai-je.

Je me tournai vers ma sœur, qui lorgna un instant vers nous, avant de faire comme si de rien n'était. Elle n'entendait rien, elle était trop loin, mais je ne pus m'empêcher de baisser la voix lorsque je repris.

– C'est à double tranchant, avouai-je alors à mon père, qui hocha la tête. J'ai peur de découvrir qu'elle aurait pu empêcher que je me fasse agresser. J'ai peur d'être celle qui aurait pu l'empêcher à elle de se faire agresser. Je ne veux pas me sentir à nouveau coupable.

– A nouveau ? s'étonna mon père.

Je me mordis les lèvres. Il n'avait jamais su quel avait été mon état d'esprit après ma première agression, pas plus après les suivantes. Jamais il ne m'avait questionnée sur ma profonde détresse qui avait provoqué mes diverses tentatives de suicide. Par besoin de le ménager, je n'avais rien dit non plus. S'il ne savait pas que le sentiment de culpabilité, d'avoir fait quelque chose de mal, d'avoir encouragé Laurent, m'avait rongée jusqu'à la moelle, je savais également qu'il ne pourrait jamais se mettre à ma place. Non pas qu'il manquait d'empathie, il était juste impossible pour lui de l'envisager.

Ne pleure pas mon angeWhere stories live. Discover now