✔1.Les habitudes...

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Je l'aime.

Tout ce que j'avais toujours voulu : une vie rangée, des études terminées, mes amis, ma famille, un quotidien normal pour une vie normale... Voilà ce que j'avais réussi à trouver, et rien ne pourrait me rendre plus heureuse. Enfin, c'est ce dont on essaie tous de se convaincre, pour continuer d'exister comme s'il ne s'était jamais rien passé, et pourtant...

L'été s'achève bientôt, pensai-je en terminant de ranger la pile de livres que le vieux Jean Duriez m'avait demandé de trier avant de quitter la boutique. Sa santé ne lui permettant plus de rester jusqu'au bout de la journée pour fermer les portes de sa petite librairie, La Page Colorée, je conservais précieusement le double des clés, chargée de lever et d'abaisser les stores tagués matin et soir. Heureusement, la grasse matinée m'attendait dès demain, dernier dimanche du mois d'aout.

Seule dans les rayons, tenant en équilibre sur un tabouret pour ranger un livre arborant une couverture rouge et à la typographie dorée, le tintement de la clochette à l'entrée m'extirpa de mes songes. Me hissant un peu plus haut pour jeter un œil au-dessus des étagères, j'aperçus une jeune femme à l'accueil. Immédiatement, je sautai de mon perchoir pour me précipiter derrière le comptoir en la saluant. Une grande blonde, vêtue d'une robe verte légère avec un ruban de la même couleur dans les cheveux, m'adressait un large sourire. Son visage m'était familier.

— Bonjour, je viens rapporter un livre.

Elle déposa l'ouvrage sur la bordure de bois vernie. Intriguée, j'en inspectai le titre : L'Homme qui rit, de Victor Hugo. Un classique. Je souris en sortant le cahier des emprunts.

— Qu'en avez-vous pensé ?

— Une lecture assez difficile au début, mais finalement excellente, à couper le souffle. J'adore le sarcasme permanent de Hugo.

— Complètement d'accord. Vous devriez peut-être essayer Notre-Dame de Paris dans ce cas, ça devrait vous plaire.

Elle sortit un petit carnet pour prendre note de mon conseil. Puis, en relevant son regard brun vers moi, la blonde se figea, comme si elle avait remarqué un détail troublant sur mon visage. Mais son sourire réapparut bien rapidement.

— J'y songerai.

Et, quelques minutes plus tard, j'étais de nouveau seule. Je ne cessais de me remémorer son air peiné. Étrangement, cela ne me dérangeait plus, même lorsque j'entendais des mères gronder leurs enfants dans les rues pour m'avoir dévisagée. Pourquoi me braquer ? Alors que, cachée, j'évitais les œillades de curiosité malsaine. Machinalement, je dénouai mon chignon pour mieux rabattre mes cheveux sur le côté droit ; je limiterais ainsi les mines choquées et embarrassantes pour aujourd'hui.

J'avais bien conscience que cette marque de quelques centimètres, scarifiant ma joue, était indélébile, m'obligeant à me souvenir chaque jour de ce qui appartenait désormais au passé, mais qui hantait toujours mon présent.

Les souvenirs sont plus importants que tout. Qu'ils soient bons ou mauvais, ils forment ce que nous sommes aujourd'hui, ils nous rappellent ce que nous étions hier et ils forgeront nos lendemains. Pour ma part, mes souvenirs ne me quittaient pas : je les revivais constamment en fermant les yeux, les meilleurs comme les pires.

Ce n'était pas plus mal. Nombreux étaient ceux qui proclamaient qu'il fallait oublier pour avancer, mais je ne me voilais pas derrière cette opinion car, en fin de compte, c'est en vivant avec ses souvenirs que l'on apprend à ne pas faire les mêmes choix, à ne pas reproduire les mêmes erreurs. Cependant, je demeurais d'accord sur le fait qu'il ne fallait pas rester bloqué dans le passé, et explorer ce que tous les recoins de ce monde pouvaient offrir, pour finalement mieux savourer chaque instant et renouveler sans cesse son stock de souvenirs.

Until I Found You T2 [Sous Contrat D'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant